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négociations, aux conditions suivantes : 1° les trois khalifas se soumettront à la France ; ils conserveront leur gouvernement respectif et viendront à Alger en recevoir l’investiture; leurs familles y habiteront ; 2° ils gouverneront au nom du roi des Français ; ils lèveront l’impôt en son nom et le verseront deux fois par an et en personne à Alger ; 3° leurs troupes et les cavaliers des tribus marcheront avec les Français pour la guerre, toutes les fois que le gouverneur ou les généraux commandant en son nom l’ordonneront.

Le général Changarnier et le représentant de Sidi-Mbarek, Ben-Jucef, kaïd des Hadjoutes, s’étant rencontrés une première fois sans pouvoir s’entendre, le gouverneur résolut de se rendre à Blida. « Je suis disposé à faire quelques sacrifices d’argent, écrivait-il au maréchal Soult, mais à titre de libéralité, de munificence, et non pas comme achat de la soumission. Je désire, ajoutait-il en parlant des frères Manucci, dont le plus jeune était avec Sidi-Mbarek, je désire pouvoir écarter ces canailles de la négociation qu’ils ne peuvent qu’entraver ; il est bien à regretter que ces bandits se soient mêlés à une affaire qui eût marché tout naturellement sans eux et par la force des circonstances. » Mis en présence de Ben-Jucef, Manucci essaya de soutenir que Sidi-Mbarek lui avait promis la soumission des trois khalifas, moyennant 100,000 piastres (500,000 fr.) données à chacun d’eux ; mais le kaïd releva énergiquement ce mensonge, et il ajouta : « Si nous t’avions promis la soumission à une époque où nous ignorions les événemens de l’ouest, à plus forte raison y consentirions-nous aujourd’hui que nous savons qu’Abd-el-Kader a presque entièrement perdu la province d’Oran. »

Dans une seconde entrevue, le 12 mars, le kaïd remit au gouverneur, en présence du général Changarnier, une lettre de Sidi-Mbarek; en voici le début superbe : «Du Djebel-Dakla à l’Oued-Fodda je commande, je tue, je pardonne. En échange de ce pouvoir que j’exerce pour la gloire de Dieu et le service de mon seigneur le sultan Abd-el-Kader, que me proposes-tu? Mes états, que la poudre pourra me rendre comme elle me les a pris, de l’argent et le nom de traître... » Le général Bugeaud fut saisi d’admiration et redoubla d’estime pour ce noble et loyal adversaire. Quelque temps après, il écrivit au maréchal Soult : « Aucun des khalifas n’a fait la moindre démarche auprès de moi, ce qui m’a parfaitement convaincu des mensonges de Manucci. Malgré leur défaite et leur extrême détresse, ils ont maintenu leur dignité personnelle et leur fidélité à Abd-el-Kader; ils n’ont pas donné les odieux exemples qu’ont fournis certains lieutenans de l’empereur. »

Quant à Natale Manucci, enfermé d’abord au fort de Mers-el-Kébir, puis relâché, il revint intriguer autour d’Abd-el-Kader. Disgracié par l’émir, dépouillé de tout ce qu’il possédait, il errait de tribu