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la résistance d’une pierre, on déblaie : si la pierre est plate et de grande dimension, c’est qu’elle recouvre un silo ; il y a là-dessous de l’orge, du blé, des fèves, du sel, des olives, des dattes, quelquefois des objets mobiliers, même des vêtemens et des armes. Le grenier promptement vidé, on en cherche un autre, et d’autres encore, tant qu’il fait jour. De quelque nature que soit la trouvaille, elle est livrée, d’après un tarif connu, à l’intendance ; le prix, sauf un prélèvement qui est fait, par compagnie, au profit de l’ordinaire, est réparti entre les capteurs au prorata de leur grade.

En partant, les hommes ont été prévenus qu’ils ne recevront pour trois jours que deux rations de pain ou de biscuit; l’équivalent de la ration supprimée sera du blé en nature. Un certain nombre de moulins portatifs, construits par l’artillerie, un plus grand nombre de ces petits moulins que les femmes arabes manœuvrent à la main et qu’on a trouvés dans toutes les maisons de Mascara, ont été amenés sur des ânes à la suite de la colonne. Le soir venu, dans chaque escouade, on fait de blé farine, et de farine bouillie ou galette, au gré des amateurs. De l’eau pour boisson; en arrivant à Mascara, le général a fait saisir, sauf indemnité, toute l’eau-de-vie, toutes les liqueurs apportées par les cantiniers et « marchands de goutte. » Ce sera, pour les mauvais temps qui sont proches, une réserve salutaire, au lieu d’être une habitude malsaine de tous les jours. On va donc vivre, un jour sur trois, à l’arabe.

Le 5 et le 6, on continue le vidage des silos; le 7, on rentre, chargé de grains, à Mascara, et le 8, on repart sur une nouvelle piste. L’orge et le blé surabondent, mais le mal est que la viande va manquer.

Le 21 décembre, deux Medjeher apportent des nouvelles de Mostaganem ; en les questionnant, La Moricière apprend qu’ils ont failli être dévorés, auprès de Sidi-Daho, par les chiens d’un douar. Le soir même, on prend les armes ; toute la nuit, on marche en silence ; à l’aube, on tombe sur le campement; deux heures après, on ramène 600 bœufs, 700 moutons, 400 ânes, 60 chevaux et mulets. Cependant, depuis deux jours surtout, l’hiver sévit avec une rigueur presque sans exemple; du 19 décembre au milieu de février, ce ne sera qu’une alternance de pluie, de neige et de grêle. Dans Mascara, les maisons s’écroulent ; dans la plaine, les terres se détrempent : rien n’arrête l’activité de La Moricière ni l’entrain merveilleux de ses troupes. Le 13 janvier 1842, voici une nouvelle et plus grande razzia qui donne plus de 1,000 bœufs et de 3,000 moutons; quant aux visites aux silos, on ne prend plus la peine d’en relever le nombre. Le succès moral, supérieur aux résultats matériels, est