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d’une morale sévère, nous a souvent reproché notre système de razzias, dont nous ne sommes pas les inventeurs. L’Écriture sainte nous apprend que Josué et d’autres chefs bénis de Dieu ont fait de bien terribles razzias. À de tels exemples j’ajouterai, pour notre justification, que si, dans une guerre d’Europe, on peut contraindre son adversaire à traiter quand, après avoir gagné sur lui une ou deux batailles, on occupe sa capitale, on saisit les caisses publiques, on frappe des contributions, on interrompt tout commerce, nous ne pouvions employer les mêmes moyens contre les Arabes ; nous devions nous attaquer à la fortune mobilière et aux récoltes des tribus pour les contraindre à se soumettre. Une civilisation meilleure donnée à ces belles contrées doit être notre justification aux yeux des hommes, et le sera, je l’espère, aux yeux de Dieu. Ceux qui connaissent les habitudes de ma vie et mon goût pour l’ordre et la méthode en toute chose ne peuvent douter que, de tous nos généraux, je ne fusse le moins enclin aux razzias ; aucun cependant n’en a fait autant ni de plus considérables, parce que j’avais reconnu en elles l’unique moyen de pacifier le pays. Je m’y étais résigné comme à un devoir pénible. En pratiquant la razzia, j’ai voulu la régulariser, la moraliser dans la mesure du possible, et j’ai eu le bonheur d’y réussir. Non-seulement les troupes sous mes ordres traitaient avec douceur les femmes, les enfans, les hommes inoffensifs, mais elles se contentaient de la part que leur allouaient les règlemens dans la valeur des prises. » Il n’y a là-dessus qu’une remarque à faire ; c’est que le mérite d’avoir moralisa la razzia, autant qu’elle pouvait l’être, n’appartient pas plutôt à Changarnier qu’à son chef, le général Bugeaud, ou à ses camarades, Bedeau, La Moricière et autres.

La division est arrivée à Mascara le 1er décembre ; la seule musique qu’elle ait emmenée, la fanfare des spahis, a joué, en quittant Mostaganem, un air qui rappelle une de nos vieilles chansons françaises : Pauvre soldat, en partant pour la guerre. Est-ce un augure ? Fi des idées mélancoliques 1 l’action va leur donner la chasse, comme la colonne aux Arabes.

Dès le 4, au point du jour, on est en route. Où va-t-on ? En tête, à côté du capitaine Walsin, marche un guide ; il se nomme Djelloul ; c’est un Hachem traître aux siens, qui l’ont chassé pour ses crimes, et qui est venu se vendre aux Français. Il connaît tout le pays, plaine, montagnes, ravins, sentiers ; c’est une carte vivante. Ce qu’il connaît particulièrement, c’est l’emplacement des silos ou matmores les greniers souterrains des tribus. Il s’arrête ; là doivent se trouver les matmores El-Abiod. Les baguettes de fusil sondent la terre ; quand, à quelques centimètres de la surface, on sent