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Toscane et de la Cisalpine, retrouvaient dans ces pays réputés barbares le charme de la patrie. Elles apportaient avec elles la paix romaine, qui dura trois ou quatre siècles : leur présence aux frontières de l’empire permit au sol de fructifier, de nourrir une population bien plus considérable que celle qui l’habite aujourd’hui. Depuis lors, ces contrées, placées sur le passage de toutes les invasions, se dépeuplèrent peu à peu et désapprirent le chemin de la Méditerranée. C’est du Nord, et non du Sud, qu’ils devaient recevoir plus tard, tantôt le mouvement commercial, tantôt l’ébranlement politique. Les idées et les marchandises descendaient le Danube. Le foyer de la civilisation, transporté des bords de la Méditerranée au cœur de notre continent, rayonnait faiblement jusqu’à eux, à travers l’épaisseur de cinq ou six grands états, ils ont eu le temps d’oublier que les premières lueurs et le premier bien-être leur étaient autrefois venus de la mer Egée. L’Europe ne s’en souvenait pas davantage. M. de Vogüé pouvait écrire en 1876: « Certaines parties du Congo nous sont mieux connues que l’intérieur de la péninsule des Balkans. »

Aujourd’hui, le ruban de fer qui relie le Danube à Salonique va restituer ce vieux pays à ses véritables destinées. Au lieu d’un désert ou d’une forêt impénétrable, nous avons devant nous une perspective de vallées largement ouvertes, qui n’attendent qu’un peu de paix et de sécurité pour se repeupler. La Serbie surtout, pareille à un grenier qui n’avait qu’une porte entre-bâillée sur la Hongrie, va pouvoir écouler son trop plein vers la Méditerranée. Elle ne fera ainsi que renouer d’antiques traditions et reconquérir sa place légitime parmi les peuples agriculteurs et commerçans. Elle va se rapprocher de nous en se rapprochant de la mer. Il appartient à Marseille de recueillir cette aubaine, et de montrer qu’elle est encore en fait ce qu’elle était jadis en droit : la gardienne vigilante des intérêts commerciaux de la France en Orient.