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mais il n’y veut rentrer que comme chef de service. Il est habile et récolte beaucoup d’argent, ce qui lui permet de passer de joyeuses soirées. » Comme je savais déjà à quoi m’en tenir sur le personnage, j’ai pu reconnaître l’exactitude du renseignement.

Les archives de l’Assistance par le travail peuvent répondre à toute question relative à la mendicité clandestine. Lorsque l’on reçoit une demande de secours, appuyée sur une de ces historiettes qui sont le lieu-commun de la gueuserie, on n’a qu’à s’adresser au directeur : le renseignement arrivera bientôt, et comme le renseignement ne coûte que 1 franc, on peut, sans grands frais, se donner le plaisir, — ou le chagrin, — d’apprendre la vérité. Les personnes qui ont recours à lui pour ne faire le bien que correctement sont nombreuses : j’en ai vu la liste, qui m’a touché, car j’y ai retrouvé les noms de tant de bienfaiteurs que ces études m’ont rendus familiers. Ces noms viennent de tous les points de l’horizon social et prouvent ce que j’ai dit souvent, qu’en notre bon pays de France chacun s’efforce vers la charité. À côté des noms de l’impératrice Eugénie, des princes d’Orléans, de la reine d’Espagne, de la princesse Mathilde, voilà ceux de M. Carnot, de M. Floquet, de M. Jules Ferry, de M. Goblet. Le monde de la noblesse, l’institut, le monde de la finance, la synagogue, le temple, l’église, s’y rencontrent ; tous les membres de la maison qui porte d’or au sautoir ancré d’azur, et pour devise : « À nul autre, » y sont inscrits auprès du Figaro, du Temps, du ministère des affaires étrangères, de la Préfecture de la Seine, de la Banque de France, de la Société philanthropique, de la Société des femmes du monde, de l’Œuvre des libérées de Saint-Lazare et de tant d’autres qui feraient supposer que l’âme de la « Babylone moderne » n’est point aussi pervertie qu’on se plaît à le dire, après boire, dans quelques capitales d’Europe.

Les demandes de renseignemens arrivent au bureau en quantité considérable. En hiver, on reçoit 200 ou 250 lettres par jour ; ce chiffre s’élève à 400 aux environs du premier de l’an, et retombe à une soixantaine pendant les mois d’été, qui représentent à Paris la morte saison de la charité. Chaque demande de renseignement donne lieu à un rapport qui est envoyé, à bref délai, au domicile des bienfaiteurs. J’ai en mains plusieurs de ces rapports ; ils sont faits avec soin, avec impartialité, et sont généralement empreints d’indulgence, à moins qu’ils n’aient trait à ces mendians invétérés que rien ne décourage, qui harcèlent la compassion, et qui changent de nom pour mieux dérouter la défiance. Je lis dans les uns : « Ce sont des gens de bonne conduite qui élèvent bien leurs enfans et qui sont estimés dans leur quartier. » — « Veuf depuis