Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/323

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’instituteur distribuait des leçons de lecture et de morale à deux élèves payans. Un négociant à qui « le diplôme d’honneur » fut proposé flaira quelque vilenie et fit arrêter les quêteurs. L’orphelinat en mourut ; il renaîtra.

La religion est un appât puissant que l’on utilise avec fruit. Un homme encore très jeune, que les scrupules de conscience paraissent ne point tourmenter, et qui a débuté dans la vie par obtenir, en Lorraine française, deux ans de prison pour escroquerie, non content de solliciter les secours de l’impératrice Eugénie, de la reine d’Espagne, de quelques maréchales, de quelques duchesses auxquelles il explique que ses opinions antirépublicaines lui ferment toute carrière, a imaginé une industrie nouvelle où l’histoire sainte et la lanterne magique, mêlées dans de savantes proportions, doivent nécessairement ramener la nation française aux principes de la vraie foi. Membre de la Société de Saint-Vincent-de-Paul, « cousin d’un examinateur de l’École polytechnique qui est absent pour plusieurs mois, » il écrit et quête à domicile. Il ne manque point de faconde ; il explique son projet, l’avantage moral que l’on en peut retirer : foin des bénéfices ! il ne veut que le bien et la conversion du peuple. Total, 100 francs l’action. Carnet, registre, grand-livre, paperasserie à vignettes, timbre humide, timbre sec et autant de signatures que l’on voudra : la comédie est bien outillée et a souvent du succès. On souscrit, et l’on souscrit d’autant plus volontiers que ce chevalier d’industrie religieuse est recommandé par un homme qui, tout en portant un costume respecté, serait sans doute fort empêché de se recommander lui-même. Autour de ces deux personnages principaux gravitent quelques chenapans qui les aident à frauder la charité catholique. Celle-ci est si ample, si généreuse, si infatigable, que c’est pitié de la voir ainsi détroussée.

Les orphelins, la religion, exploités par les drogueurs de la haute, ont servi à escroquer bien des sommes d’argent dont les vrais malheureux auraient pu profiter. Un individu dévoyé peu à peu par la facilité même avec laquelle il récoltait des aumônes a quêté pour une œuvre de son invention ayant pour devise : « Dieu et patrie ! » et que je ne nommerai pas, car elle a été patronnée par des personnages qui n’en soupçonnaient point la vilenie. Tout ce qu’il a recueilli, — Et il a recueilli beaucoup, — a été dissipé en ce que nos grands-pères appelaient « la godaille. » Cet homme, qui a fini par se rendre la justice qu’on lui devait, a commis une sorte de crime moral dont il a su tirer grand parti. Une femme veuve, arrivée au dernier période de la phtisie, mère de quatre enfans en bas-âge, connue de cet industriel, avait été transportée à l’hôpital Necker. Il conduisit les enfans près de la moribonde, et