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pas 5 ou 10 francs. Un bienfaiteur curieux se rendit au domicile de cette vendeuse ambulante ; il aperçut sur la table le volume de Tout-Paris ouvert et une quarantaine de lettres auxquelles la suscription manquait encore. Que pense-t-on de ce comte espagnol, hidalgo impétueux,


Plus délabré que Job et plus fier que Bragance,


qui écrit : « j’ai servi dans l’armée borbonique, non sans un mérite onéreux, » et qui envoie son portrait gravé, afin qu’on ne le puisse confondre avec « les pitoyables dont la basse honte ne craint pas de revêtir son nom, ses titres et ses décorations pour en abuser. » Celui-là ne vend pas des plumes de fer, il vend des brochures dont il se dit l’auteur.

Les œuvres les meilleures servent de prétexte à l’exploitation de la charité. On a mis en recherche, et je crois que l’on n’a pu découvrir, un escroc qui se présentait dans les maisons du faubourg Saint-Germain et dans les ambassades pour quêter au nom de l’Hospitalité de nuit ; c’est la fausseté du timbre et de la signature qui a fait reconnaître la supercherie à laquelle plus d’une bonne âme a dû se laisser prendre. Non-seulement on se recommande des œuvres existantes, mais on en invente, on en crée avec pièces à l’appui : prospectus, attestations imprimées, approbations de hauts personnages, livres à souche, bulletins, reçus timbrés signés du percepteur, du contrôleur et du directeur ; c’est complet, mais ça exige une certaine mise de fonds préalable pour fabriquer tant de paperasses. On y est pris, j’y ai été pris comme les autres. Il s’agissait d’un orphelinat que trois coquins avaient imaginé pour en bien vivre ; l’un d’eux était une sorte d’instituteur qui rédigeait les requêtes pour amorcer « les pantres, » c’est-à-dire les imbéciles, — les pantres, c’est vous et moi. — Pour 300 francs, on obtenait un diplôme d’honneur ; pour 100 francs, on était membre fondateur, et membre titulaire pour 50. Les metteurs en action de cette escroquerie, qui a eu des proportions considérables, relevaient dans les Petites-Affiches le nom et l’adresse des gens qui demandaient un emploi ; d’eux l’on n’exigeait rien, sinon qu’ils eussent une bonne tenue. On leur donnait leurs instructions et on les envoyait quêter en leur accordant 35 pour 100 sur leur recette. Vingt quêteurs bien stylés rapportaient chacun une moyenne de 100 francs par semaine, soit ensemble 2,000 francs. Comme en été, pendant la saison des déplacemens, le produit est toujours moindre, l’escroquerie ne fournissait guère plus de 75,000 francs par an. L’orphelinat, avec cette somme, aurait pu être nombreux et sérieusement entretenu. En réalité, il se composait d’une chambre où