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qui font honneur à son imagination. Les premières brodent sur un thème connu et paraphrasent le vers d’une chanson qui eut de la célébrité dans les ateliers de l’École des Beaux-Arts : « C’est pour ma mère, on me respectera. » Sa mère est âgée, infirme, sa mère est ruinée par des revers de fortune ; passant ses journées en courses infructueuses pour obtenir un emploi, il prie, il conjure que l’on vienne à son aide, pour qu’il puisse au moins arracher aux tortures de la faim celle qui lui a donné le jour. On ne resta point insensible à cette voix filiale et les aumônes furent larges. Fort alléché, ce bon fils dépassa la mesure, et ses demandes furent trop fréquemment renouvelées : il inspira quelque méfiance, et s’en aperçut en voyant ses recettes diminuer. Il s’abstint et fit le mort pendant quelque temps. Tout à coup, la mère intervint à son tour, cette mère pour laquelle on n’avait point recalé devant la honte de tendre la main. Elle est si vieille, si affaiblie, si ravagée par la douleur, qu’elle ne peut que signer les lettres que l’on écrit pour elle. Un malheur irréparable l’a frappée : son fils, ce fils exceptionnel qui bravait tout pour elle, tout jusqu’à l’opinion de la caste noble à laquelle il appartenait, ce modèle des fils lui a été enlevé par une maladie qu’ont provoquée les angoisses et la pauvreté. Seule au monde, que va-t-elle devenir, à demi paralysée, presque grabataire, si les âmes charitables n’ont point pitié d’elle ? Plusieurs lettres écrites par des voisines compatissantes, qui se relaient pour la soigner, exécutent quelques variations sur le même air. Le lecteur a compris. Toutes ces lettres, dont l’écriture même se trahit, malgré les efforts que l’on a faits pour la déguiser, sont rédigées par l’ancien viveur qui se porte fort bien, et dont la mère est morte alors qu’il était au collège. On s’enquiert de lui ; que l’on me pardonne le mot : il vit dans « la crapule, » gaspille en orgies tout l’argent qu’il récolte, courtise les cuisinières et a emprunté à l’une d’elles 200 francs qu’il ne lui a jamais rendus. On estime à plus de 200,000 francs les sommes que cet habile homme a extorquées depuis qu’il est entré dans la bande des escrocs, où il a pour acolyte un bon gentilhomme dont le fils s’est noyé accidentellement et qui profite de cet « incident » pour demander des secours à tort et à travers.

Parfois, au lieu de mendier, on fait, — on a l’air de faire, — un petit commerce. Les femmes s’y empressent ; l’une d’elles, ancienne institutrice, « instruite, bien ronde et potelée, vit largement aux dépens des personnes charitables. » Le procédé est autre et parvient au même résultat. On envoie, avec une lettre à la fois explicative et suppliante, une boîte de plumes de fer que l’on viendra reprendre le lendemain, si elle ne convient pas. La boîte a coûté 1 fr. 50, et il est rare qu’en échange la personne à qui elle est envoyée ne donne