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de rejeter hors des générosités charitables les hommes valides que l’habitude de la quémanderie abrutit et déshonore. Son principe est celui-ci : aux indigens incurables, l’aumône ; — aux indigens temporaires, le travail ; — aux indigens volontaires, le travail forcé dans la réclusion. Avant de dire quels moyens il emploie et propose d’employer pour parvenir à ce résultat, nous devons parler du genre de mendicité contre lequel il est sage de se tenir en garde.


I. — LA FAUSSE INDIGENCE.

« La charité, s’il vous plaît ! » c’est la vieille phrase consacrée de la mendicité ; c’est celle qui se larmoie au coin des rues, c’est celle qui s’écrit dans les lettres menteuses à l’aide desquelles on se joue des cœurs généreux ; mais c’est également celle qui bien souvent ne trompe pas, affirme la détresse et obtient un secours justifié. Il est parfois difficile de distinguer la vraie pauvreté de la pauvreté feinte : toutes deux ont les mêmes apparences et procèdent de la même façon. La mendicité a cela de cruel et de diabolique, — perseverare diabolicum, — qu’elle s’empare de celui qui, dans une heure de désespoir, n’a pas craint de recourir à elle, et que pour lui elle devient une habitude, sinon une passion. La population parisienne a toujours en poche le denier de l’aumône. Le malheureux qui, pour la première fois, l’a implorée, s’en va le gousset plus garni qu’il n’eût osé l’espérer, et il constate qu’une journée de mendicité lui a rapporté plus qu’une journée de travail. Ses scrupules, s’il en a, s’apaisent ; son courage à la vie laborieuse s’éteint ; la première honte est bue qui est la plus amère. À quoi bon se tuer au profit d’un patron ? Il est dur de rester tout le jour debout et pleurnicheur à l’angle d’une porte-cochère, mais c’est moins dur, après tout, que de raboter des planches ou de limer le fer : le métier est bon, il est fructueux et sans chômage, car la charité n’en a pas. L’homme qui a mendié une fois par nécessité et qui a fait ces réflexions est perdu ; il appartiendra désormais à la tribu des quémandeurs, et si ses journées sont employées à ramasser l’aumône, il aura du moins la liberté de ses soirées, et Dieu sait ce qu’il en fait ! « Les ténors, » c’est-à-dire ceux qui savent chanter, pénètrent dans les cours et entendent les gros sous pleuvoir autour d’eux ; ils n’empochent point toute la recette, car ordinairement et par suite d’un accord tacite, ils en remettent le tiers ou le quart au portier qui ne leur a point interdit l’entrée de la maison.

Pour ces gens d’âme basse et sans vigueur, la paresse devient une telle habitude, un besoin si impérieux, qu’elle crée l’impossibilité morale, et par conséquent l’impossibilité matérielle de travailler ;