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les enfans trouvés mouraient, faute de lait, les infirmes faute de vêtemens et de viande, les malades faute de bouillon, de médicamens et de lits[1].

En second lieu, même quand l’état respecte ou fournit la dotation du service, par cela seul qu’il le régit, il y a des chances pour qu’il le pervertisse. — Presque toujours, lorsque les gouvernans mettent la main sur une institution, c’est pour l’exploiter à leur profit et à son détriment : ils y font prévaloir leurs intérêts ou leurs théories; ils y importent leurs passions; ils y déforment quelque pièce ou rouage essentiel ; ils en faussent le jeu, ils en détraquent le mécanisme; ils font d’elle un engin fiscal, électoral ou doctrinal, un instrument de règne ou de secte. — Tel, au XVIIIe siècle, l’état-major ecclésiastique que l’on connaît[2], évêques de cour, abbés de salon, appliqués d’en haut sur leur diocèse ou sur leur abbaye, non résidons, préposés à un ministère qu’ils n’exercent pas, largement rentes pour être oisifs, parasites de l’église, outre cela, mondains, galans, souvent incrédules, étranges conducteurs d’un clergé chrétien, et qu’on dirait choisis exprès pour ébranler la foi catholique chez leurs ouailles et la discipline monastique dans leurs couvens. — Tel, en 1791[3], le nouveau clergé constitutionnel, intrus, schismatique, superposé à la majorité orthodoxe, pour lui dire une messe qu’elle juge sacrilège, et pour lui administrer des sacremens dont elle ne veut pas.

En dernier lieu, même quand les gouvernans ne subordonnent pas les intérêts de l’institution à leurs passions, à leurs théories, à leurs intérêts propres, même quand ils évitent de la mutiler et de la dénaturer, même quand ils remplissent loyalement et de leur mieux le mandat surérogatoire qu’ils se sont adjugé, infailliblement ils le remplissent mal, plus mal que les corps spontanés et spéciaux auxquels ils se substituent ; car la structure de ces corps et la structure de l’état sont différentes. — Unique en son genre, ayant seul l’épée, agissant de haut et de loin, par autorité et contrainte, l’état opère à la fois sur le territoire entier, par des lois uniformes, par des règlemens impératifs et circonstanciés, par une hiérarchie de fonctionnaires obéissans qu’il maintient sous des consignes strictes. C’est pourquoi il est impropre aux besognes qui, pour être bien faites, exigent des ressorts et des procédés d’une autre espèce. Son ressort, tout extérieur, est insuffisant, trop faible pour soutenir et pousser les œuvres qui ont besoin d’un moteur interne, comme

  1. La Révolution, III, 462, 547.
  2. L’Ancien régime, 82, 83, 97, 98, 155, 156, 382.
  3. La Révolution, I, p. 231 et suivantes.