Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par institution. Aucun d’eux n’a d’initiative; ils ne délibèrent que sur les lois proposées par le gouvernement. Chacun d’eux n’a qu’un fragment de fonction : le tribunat discute et ne statue pas ; le corps législatif statue et ne discute pas ; le sénat conservateur a pour emploi le maintien de cette paralysie générale. « Que voulez-vous ! disait Bonaparte à Lafayette[1], Sieyès n’avait mis partout que des ombres : ombre de pouvoir législatif, ombre de pouvoir judiciaire, ombre de gouvernement. Il fallait bien de la substance quelque part, et, ma foi, je l’ai mise là, » dans le pouvoir exécutif.

Elle y est tout entière et dans sa main ; les autres autorités ne sont pour lui que des décors ou des outils[2]. Chaque année, les muets du corps législatif viennent à Paris se taire pendant quatre mois; un jour, il oubliera de les convoquer, et personne ne s’apercevra de leur absence. — Quant au tribunat qui par le trop, d’abord il le réduit à un minimum de paroles, « en le mettant à la diète de lois ; » ensuite, par l’entremise du sénat qui désigne les membres sortans, il se débarrasse des bavards incommodes; enfin, et toujours par l’entremise du sénat interprète, gardien et réformateur en titre de la constitution, il mutile, puis il supprime le tribunat lui-même. — C’est le sénat qui est son grand instrument de

  1. Lafayette, Mémoires, II, 492.
  2. Pelet de la Lozère, Opinions de Napoléon au conseil d’état, p. 63 : — « Le sénat se trompe, s’il croit avoir un caractère national et représentatif. Ce n’est qu’une autorité constituée, qui émane du gouvernement comme les autres. » (1804.) — Ibid., p. 147 : « Il ne doit pas être au pouvoir d’un corps législatif d’arrêter le gouvernement par le refus de l’impôt; les impôts, une fois établis, doivent pouvoir être levés par de simples décrets. La cour de cassation regarde mes décrets comme des lois; sans cela, il n’aurait pas de gouvernement.» (9 janvier 1808.)— Ibid., p. 149 : « Si j’avais jamais à craindre le sénat, il me suffirait d’y jeter une cinquantaine de jeunes conseillers d’état. » (1er décembre 1803.) — Ibid., p. 150 : « Si une opposition se formait dans le sein du corps législatif, j’aurais recours au sénat pour le proroger, le changer ou le casser. » (29 mars 1806.) — Ibid., p. 151 : « Il y a maintenant chaque année 60 législateurs sortans, dont on ne sait que faire : ceux qui ne sont point placés vont porter leur bouderie dans leurs départemens. Je voudrais des propriétaires âgés, mariés en quelque sorte à l’état par leur famille ou leur profession, attachés par quelque lien à la chose publique. Ces hommes viendraient tous les ans à Paris, parleraient à l’empereur dans son cercle, seraient contens de cette petite portion de gloriole jetée dans la monotonie de leur vie. (Même date.) — Cf. Thibaudeau. Mémoires sur le Consulat, ch. XIII, et M. de Metternich, Mémoires, I, 120. (Paroles de Napoléon à Dresde, printemps de 1812.) « Je donnerai une organisation nouvelle au sénat et au conseil d’état. Le premier remplacera la chambre haute, le second celle des députés. Je continuerai à nommer à toutes les places de sénateurs; je ferai élire un tiers du conseil d’état sur des listes triples; le reste, je le nommerai. C’est là que se fera le budget et que seront élaborées les lois. » — On voit que le corps législatif, si docile, l’inquiétait encore, et très justement; il prévoyait la session de 1813.