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foncier et de l’impôt mobilier, des décharges non moins iniques que les surcharges, en beaucoup d’endroits point de rôles dressés pour asseoir la contribution, çà et là des communes qui, sous prétexte de défendre la république contre les communes voisines, s’exemptent elles-mêmes de la conscription et de l’impôt; des conscrits à qui leur maire délivre des certificats faux d’infirmité ou de mariage, qui ne viennent pas à l’appel, qui, acheminés vers le dépôt, désertent en route par centaines, forment des rassemblemens et se défendent contre la troupe à coups de fusil; tels étaient les fruits du système. — Avec des agens fournis par l’égoïsme et par l’ineptie des majorités rurales, le gouvernement ne pouvait contraindre les majorités rurales. Avec des agens fournis par la partialité et la corruption des minorités urbaines, le gouvernement ne pouvait réprimer les minorités urbaines. Il faut des mains, et des mains aussi tenaces que fortes, pour prendre le conscrit au collet, pour fouiller dans la poche du contribuable, et l’état n’avait pas de mains. Il lui en fallait, et tout de suite, ne fût-ce que pour parer et pourvoir au plus pressé. Si l’on voulait soumettre et pacifier les départemens de l’ouest, délivrer Masséna assiégé dans Gênes, empêcher Mêlas d’envahir la Provence, porter l’armée de Moreau au-delà du Rhin. on devait au préalable restituer au pouvoir central la nomination d s pouvoirs locaux.


IV.

Sur ce second point, l’évidence n’était guère moindre. — Et d’abord, du moment que les pouvoirs locaux étaient nommés par les pouvoirs du centre, il était clair qu’au centre le pouvoir exécutif dont ils dépendaient devait être unique. À ce grand attelage de fonctionnaires conduits d’en haut, on ne pouvait donner en haut plusieurs conducteurs distincts; étant plusieurs et distincts, les conducteurs auraient tiré chacun de son côté, et les chevaux, tiraillés en divers sens, auraient piétiné sur place. A cet égard, les combinaisons de Sieyès ne supportaient pas l’examen; théoricien pur et chargé de faire le plan de la constitution nouvelle, il avait raisonné comme si les cochers qu’il mettait sur le siège étaient, non des hommes, mais des automates : au sommet, un grand électeur, souverain de parade, ne disposant que de deux places, éternellement inactif, sauf pour nommer ou révoquer les deux souverains actifs, deux consuls gouvernans; l’un de ceux-ci, consul de la paix et nommant à tous les emplois civils; l’autre, consul de la guerre et nommant à tous les emplois militaires et diplomatiques; chacun des deux ayant ses ministres, son conseil d’état, sa chambre de justice administrative; tous, fonctionnaires, ministres, consuls et le grand