Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/222

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la république française, partagé la Pologne et accepté le Hanovre que lui offrait l’empereur Napoléon. » Il était prêt cependant à tout pardonner au souverain, quel qu’il fût, qui restaurerait le saint-empire, en l’accommodant au goût moderne, et constituerait au cœur de l’Europe une grande puissance militaire et conservatrice « capable de tenir en respect les barbares asiatiques et l’éternel trouble-fête, le Gaulois. » L’essentiel était que « l’Allemagne ne tombât pas dans les mains des clubs, des associations, des professeurs, des théoriciens et des charlatans. » Il ne lui déplaisait pas qu’elle fût privée quelque temps encore des dangereuses douceurs de la monarchie parlementaire; il pensait que, dans certaines circonstances, le régime patriarcal a du bon, et les opinions de son frère lui semblaient trop avancées. Il l’admonestait quelquefois, il s’appliquait à le contenir.

Le duc Ernest ne l’écoutait pas toujours. Il lui était permis de penser à ses convenances, à ses intérêts et surtout à sa popularité, qui devait lui servir à jouer un rôle en Allemagne. Il prenait souvent l’avis de son frère et de son oncle, souvent aussi il leur expliquait avec quelque vivacité les raisons de situation qui l’empêchaient d’obtempérer à leurs désirs, de se conformer à leurs conseils. Dès 1866, il écrivait au roi des Belges que ses liens de parenté avec de hauts monarques de l’Occident lui rapportaient moins de profit que d’agrément. On avait plus d’une fois dénoncé Cobourg comme un mauvais lieu, comme un foyer d’intrigues antigermaniques : «Je dois devenir un bon et loyal Germain. C’est comme jeune prince allemand que je dois me recommander aux sympathies. A quoi me servirait-il de m’appuyer sur mes hauts parentages ? Ce n’est pas ma faute si tu es roi des Belges, si Albert est l’époux de la reine d’Angleterre et Ferdinand roi de Portugal. Je suis charmé que vous soyez mes parens et je me réjouis de l’attachement que vous me témoignez; mais je ne puis m’orner de votre gloire pour réussir auprès des princes mes confédérés. »

C’est une famille fort remarquable que celle des Cobourg, et les mémoires du duc Ernest nous aident à les bien connaître. Si différens qu’ils soient de caractère et d’humeur, ils ont des traits de ressemblance. Ce qui distingue tout vrai Cobourg, c’est une certaine liberté d’esprit qu’on trouverait difficilement au même degré dans d’autres familles régnantes et qui leur permet de s’accommoder sans peine, sans effort apparent, à des situations pour lesquelles il ne semblait pas né. L’éducation qu’avaient reçue le duc Ernest et le prince Albert était bien propre à les affranchir de beaucoup de préjugés, à leur ouvrir l’entendement, à en faire des hommes de notre siècle. En même temps qu’on leur apprenait le latin et les mathématiques, on les initiait aux sciences naturelles, à la physique, à la chimie. On s’attachait