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pendant la nuit. Le régime de la promiscuité pure et simple, et celui de l’isolement pendant la nuit avec travail ou promenade en commun pendant le jour, se partagent donc fraternellement toute une moitié de la prison de la Santé, sans qu’il soit possible de dire pourquoi on isole ceux-ci pendant la nuit, pourquoi on met en commun ceux-là. Au fond et malgré une apparence plus favorable qui tient à ce que les préaux sont plus aérés et les ateliers plus grands, le quartier commun de la Santé ne vaut guère mieux que Sainte-Pélagie ou la Grande-Roquette. Les détenus y trouvent les mêmes facilités pour nouer ensemble des relations dangereuses. Il arrive souvent, en effet, que le noyau de ces bandes de malfaiteurs qui ravagent Paris ou la banlieue s’est formé dans les prisons de la Seine. C’est là que les héros de ces bandes ont fait connaissance. Ils se donnent rendez-vous à leur sortie et mettent en commun l’expérience et les talens qui les conduiront à la cour d’assises. L’argent qui a été dépensé dans le quartier commun de la Santé est donc de l’argent fort mal employé. Il n’en est pas de même du quartier cellulaire.


III.

Le quartier cellulaire de la Santé a du moins ce mérite d’être aménagé en vue d’un régime déterminé qui a eu longtemps la faveur publique. Les vicissitudes du système cellulaire en France sont un des exemples les plus frappans de l’influence qu’exerce sur toutes les questions, même les plus graves, cette puissance tyrannique qui a nom : la mode. La cellule est, dans notre pays, un article d’importation rapporté par M. de Tocqueville au retour du fameux voyage auquel on doit la Démocratie en Amérique. Cet article fut très fort goûté pendant toute la durée du gouvernement de Juillet, non pas seulement par tous ceux qui avaient fait des questions pénitentiaires une étude spéciale, mais par cette opinion un peu irréfléchie qui est également prompte à s’engouer et à se dégoûter sans raison. M. de Tocqueville fut à la chambre des députés rapporteur d’un projet de loi qui portait jusqu’à douze ans la durée des peines de toute nature qui pourraient être subies en cellule, et la commission de la chambre des pairs allant plus loin, sur la proposition de M. Bérenger, proposait d’appliquer le régime de l’isolement absolu, même aux peines perpétuelles. L’adoption définitive de ce régime paraissait tellement assurée qu’un certain nombre de départemens, allant au-devant de la loi, transformaient leurs prisons en maisons cellulaires, et que le ministre de l’intérieur refusait de donner son approbation à tout plan de réparation ou de reconstruction qui ne