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Sainte-Pélagie ne comprend que deux dortoirs, plus un certain nombre de chambrées qui rappellent celles de Saint-Lazare. Dans ces chambrées, les détenus couchent par petits groupes, qui s’élèvent de trois à dix ou douze, sans qu’il soit fait entre eux, comme à Saint-Lazare, aucun triage, même sommaire. La seule précaution prise consiste à faire coucher, dans un dortoir à part, les jeunes gens à figure un peu imberbe et efféminée, précaution assez illusoire, du reste, la promiscuité nocturne, sans surveillance, ne valant guère mieux pour ces jeunes gens que le mélange avec les autres catégories de détenus. Dans ces dortoirs ou dans ces chambrées, les détenus passent, suivant la saison, de dix à douze heures, oisifs, dans l’obscurité, condamnés en quelque sorte aux conversations et aux intimités malsaines. Dans un milieu aussi putride, il est impossible que la corruption ne fermente pas, et si quelques germes d’honnêteté subsistaient dans le cœur d’un de ces détenus, au bout de peu de temps il sera, comme les autres, gagné par la pourriture. Aussi la préfecture de police, qui ne nourrit aucune illusion sur le déplorable régime de cette maison, s’est-elle efforcée pendant quelque temps d’y concentrer les récidivistes, en réservant pour la Santé, dont je parlerai tout à l’heure, les condamnés pour une première faute. Mais il a fallu bientôt renoncer à ce système, à cause de l’encombrement qui se produisait, suivant les circonstances, tantôt dans l’une, tantôt dans l’autre maison, et aujourd’hui le Dépôt déverse impartialement son contenu, les trois premiers jours de la semaine, à la Santé, et les trois derniers à Sainte-Pélagie. Lorsque j’ai visité cette dernière prison, je me suis trouvé assister, par hasard, à l’arrivée des détenus qui descendaient de la voiture cellulaire. Après leur inscription au greffe sur le registre d’écrou, on les alignait un à un dans le chemin de ronde à la porte du vestiaire, où ils pénétraient tour à tour pour se dépouiller de leurs effets personnels et revêtir la livrée de la prison. Comme je regardais ces figures sur lesquelles ne se peignait guère que l’effronterie et l’insouciance, j’avisai cependant un jeune homme à la physionomie assez fine, à la mise décente, et qui avait tout l’aspect de l’ouvrier parisien intelligent et laborieux. Je lui adressai la parole, et il me conta son histoire fort simple. Il avait, dans une rixe d’atelier, assez grièvement blessé un de ses camarades, et il avait été condamné pour ce fait à deux mois de prison. Celui-là entrait en prison honnête homme ; qui sait si Sainte-Pélagie n’aura pas fait de lui un coquin ?

Transportons-nous maintenant à la prison de la Grande-Roquette, qui, de son nom administratif, s’appelle le Dépôt des condamnés. Ainsi que ce nom l’indique, la destination primitive de cette prison -