Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à quoi servirait ce silence lorsque les détenues ont toute facilité pour se livrer à la conversation, et à quelles conversations ! pendant la nuit. Comme les prévenues, les condamnées sont, en effet, enfermées dès la nuit close, par groupes de cinq ou six, dans des chambrées où elles n’ont rien autre chose à faire que d’échanger leurs confidences et leurs souvenirs. Ici, cependant, les sœurs de Marie-Joseph, et en particulier l’intelligente supérieure qui est en ce moment à la tête de la maison, trouvent à exercer cette appréciation des nuances de la corruption, dont elles ont l’expérience ou plutôt l’intuition. Entre ces brebis toutes plus ou moins galeuses, elles s’efforcent de distinguer celles dont le mal est encore guérissable et celles qui sont devenues incurables. Elles évitent de parquer les unes avec les autres, et s’appliquent au contraire à enfermer ensemble, dans les mêmes chambrées, celles qui paraissent à peu près également contaminées. C’est là, sans doute, un palliatif, mais combien d’erreurs peuvent être commises dans ces appréciations nécessairement très superficielles! Aussi est-il profondément regrettable qu’il soit impossible d’assurer le bienfait de la solitude tout au moins à celles qui le demandent. Le mot impossible n’est cependant pas tout à fait exact. Il existe à Saint-Lazare un long couloir sombre sur lequel s’ouvre la porte d’un certain nombre, je ne peux pas dire de cellules, mais de boîtes, prenant de l’autre côté air et lumière sur un balcon en bois dont elles sont séparées par un grillage en fer. On dirait des petites cages à bêtes fauves. Dans ces cages, il y a place pour un petit lit et un tabouret, pas davantage. Elles servent habituellement au coucher d’un certain nombre de détenues. Mais, dans certains cas exceptionnels, à la condition qu’elle le demande avec instance, à la condition qu’il ne fasse ni trop froid, car ces cages ne sont pas chauffées, ni trop chaud, car elles sont étouffantes, à la condition, enfin, que la détention soit de courte durée, car à la longue il n’y en a pas une dont la santé y résistât, le directeur, par une faveur grande dont il ne fait que très rarement usage, peut autoriser telle ou telle détenue à subir dans une de ces cages la totalité de sa peine. Voilà à quel prix dans la ville-lumière, en l’an de grâce 1887, une femme coupable d’une faute peut-être excusable peut obtenir d’être soustraite au contact le plus dégradant. Il ne faut pas se lasser de dénoncer ce scandale de la prison de Saint-Lazare, parce que des protestations réitérées sont la seule manière d’obtenir qu’on y mette fin. Il a fallu quarante ans pour obtenir la fermeture de la hideuse maison de Saint-Denis. Peut-être en faudra-t-il autant pour obtenir la fermeture de Saint-Lazare. On ne saurait donc s’y mettre trop tôt ni à trop fréquentes reprises.