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la marche des choses en Allemagne, ne comporte plus d’autre issue. Pour garder toutes les portes ouvertes, il suffit, pour le moment, de faire des avances à Louis-Napoléon qui ne nous engagent à rien, et de nous défendre contre toute tentative qui aurait pour but de nous mettre à la remorque de l’Autriche. »

Abattre l’Autriche et leurrer la France, tel était le dernier mot de la consultation que le délégué à la Diète de Francfort donnait à son souverain. C’était la politique, moins l’emploi des moyens, que déjà, en 1851, après Olmütz, le comte de Pourtalès recommandait à ses amis. Le succès devait plus tard inspirer à M. de Bismarck des conceptions plus vastes. Il ne lui suffisait plus, après 1866, d’avoir exclu l’Autriche de la Confédération germanique et d’avoir violé le traité de Prague, l’œuvre de notre médiation; il entendait frapper successivement et isolément, par d’habiles manœuvres, suivant la tactique de Frédéric II et de Napoléon Ier, toutes les grandes puissances militaires qui entourent l’Allemagne. Que la France subisse de nouvelles atteintes, et la Russie, pour avoir laissé détruire tout contrepoids en Europe, succombera à son tour. Ce sera le dernier acte du drame qui scellera à jamais la suprématie allemande, et assurera une renommée immortelle à celui qui l’a conçu et l’aura exécuté.

Il fallut dix ans, des souverains sans virilité sur les trônes principaux d’Allemagne, des ministres incapables à Vienne, une politique chimérique à Paris, une série d’événemens extraordinaires, des fautes sans nombre, imprévues, comme les accidens qui surgissent inopinément dans le cours des maladies, pour permettre à la Prusse « de résoudre la question du dualisme germanique posée depuis Charles-Quint de siècle en siècle, et de régler l’heure sur le cadran de son évolution historique. » Il a fallu la guerre de 1859, la violation du traité de Zurich, l’ingratitude de l’Italie-, l’insurrection de la Pologne en 1863, les rancunes de l’empereur Alexandre et de son ministre, la guerre du Mexique, la convention du 15 septembre 1864, qui souleva la question de Rome au lieu de la résoudre, le démembrement du Danemark toléré par le gouvernement français et le gouvernement anglais, divisés par de mesquines rivalités, l’aveuglement de l’Autriche en signant la convention de Gastein, l’imprévoyance de notre diplomatie au mois de juin 1866, nos défaillances morales et militaires au. mois de juillet, nos revendications tardives de Mayence et du Palatinat au mois d’août, et, pour compléter le tout, la maladie de l’empereur aux heures décisives, la division dans ses conseils et le réveil légitime mais intempestif d’une opposition intransigeante en France, toutes choses que le génie politique le plus affiné ne pouvait prévoir ni provoquer, pour que M. de Bismarck, porté par une fortune sans