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deux états l’un vers l’autre, et les amabilités qu’ils échangent sont plutôt une preuve de la sympathie existante qu’un moyen de la faire naître... Si une alliance franco-russe, avec des visées belliqueuses, venait à se conclure, nous ne pourrions pas être au nombre de ses adversaires, parce que, j’en suis convaincu, nous succomberions.

« Du temps du prince de Schwartzenberg, ajoutait M. de Bismarck, on parlait beaucoup d’une triple alliance entre la Russie, la France et l’Autriche. La haine que la Russie porte aujourd’hui à l’Autriche et l’influence que l’empereur Napoléon entend exercer dans la péninsule forceront le cabinet de Vienne à se pourvoir ailleurs. »

Une alliance entre l’Angleterre, l’Autriche, la Prusse et la Confédération germanique est-elle possible et souhaitable? M. de Bismarck ne l’admettait pas, et, en tout cas, il n’y voyait que des inconvéniens pour son pays. Alors même que l’Angleterre serait victorieuse sur toutes les mers, l’Allemagne, placée entre la France et la Russie, n’en aurait pas moins sur ses épaules tout le fardeau de la lutte. Il n’avait d’ailleurs aucune confiance dans la fidélité des cours allemandes: « Je puis affirmer qu’en cas de danger, disait-il, aucun des princes confédérés ne se ferait scrupule de manquer à ses engagemens. Les ministres dirigeans de Bavière, de Wurtemberg, de Bade, de Darmstadt et de Nassau m’ont fait voir jusqu’à l’évidence qu’ils considéraient comme un devoir de briser leurs liens fédéraux, si l’intérêt ou la sécurité de leurs souverains étaient menacés. Ils sont convaincus que l’empereur Napoléon et l’empereur Alexandre ne les abandonneraient pas. Ils se rappellent qu’en 1813 et en 1814 ils n’ont rien perdu, et que la confédération du Rhin avait du bon, qu’elle leur assurait le pot-au-feu, leur permettait de rendre leurs sujets heureux, chacun à sa façon, qu’on ne leur demandait que de fournir des contingens ; pour le reste, leur servitude n’avait que des agrémens. »

Mais quels seraient dorénavant les rapports entre la Prusse et l’Autriche? C’était le côté brûlant du mémoire. « l’Allemagne est trop étroite pour nous deux, disait l’envoyé du roi ; nous labourons dans le même champ contesté. Les dangers les plus pressans, en 1813 et en 1849, n’ont pas pu consolider nos liens. Depuis mille ans, le dualisme germanique s’est toujours manifesté par des guerres intestines profondes ; depuis Charles-Quint, la question s’est posée de siècle en siècle, et elle se posera encore dans ce siècle-ci, quand viendra le moment où il n’y aura plus moyen de régler l’heure sur le cadran de notre évolution historique. Nous aurons donc, dans un avenir prochain, à défendre notre existence contre l’Autriche, et il ne dépend pas de nous de prévenir cette collision ;