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l’insurrection polonaise de 1863. Mais pouvait-il, malgré sa perspicacité, deviner que Napoléon III, après l’entrevue de Stuttgart, s’aliénerait de gaîté de cœur, et à jamais, l’empereur Alexandre, qui pendant la guerre d’Italie lui avait rendu de signalés services !

« L’Angleterre, disait M. de Bismarck, n’attache pas moins de prix à la conservation de ses bons rapports avec la France, et le mariage des deux puissances occidentales, tout en ayant donné lieu à des scènes de lune rousse, ne se rompra pas de sitôt. Pour toutes deux, une rupture serait l’éventualité la plus coûteuse et la plus redoutable. La guerre a mis la flotte française hors de page, et, en cas de lutte, il faudrait que l’Angleterre éparpillât ses forces, car elle aurait à compter en même temps avec l’Amérique et la Russie. Aussi dissimule-t-elle son dépit au sujet de la paix française. Napoléon III, il est vrai, est pour le moment tenu en échec par l’état de ses finances ; mais, s’il prévoyait une rupture avec l’Angleterre, il monterait dès à présent le sentiment national contre la perfide Albion, de telle sorte que les tentatives des ministres anglais pour susciter des troubles en France glisseraient sur lui comme l’eau sur les plumes du canard.

« Il n’est pas admissible que Louis-Napoléon fasse la guerre pour la guerre elle-même et qu’il soit poussé par un besoin de conquête; il n’est pas conquérant. S’il avait besoin de la guerre, j’imagine qu’il aurait en réserve une question pouvant lui servir en tout temps de prétexte à querelle, ni trop futile ni trop injuste. La question italienne lui conviendrait. L’ambition de la Sardaigne, les souvenirs bonapartistes et muratistes, l’orgueil corse, tout cela offrirait au fils aîné de l’église romaine bien des facilités. La haine contre l’Autriche et les princes en Italie lui aplanirait les voies, tandis qu’en Allemagne il n’aurait aucun appui à attendre de notre démocratie rapace et lâche, et qu’il ne pourrait compter sur les princes que s’il était le plus fort. »

Dans la seconde partie de son exposé, M. de Bismarck abordait et discutait à fond la question des alliances à poursuivre :

« Il va se former des groupes politiques, disait-il. Un rapprochement entre la France et la Russie est naturel ; par leur situation géographique, elles sont, parmi les grandes puissances et par leurs visées politiques, celles qui renferment le moins d’élémens hostiles; elles n’ont pas d’intérêts qui se trouvent nécessairement en collision. Jusqu’à présent, l’hostilité de l’empereur Nicolas contre les d’Orléans a tenu les deux pays éloignés; mais la guerre qui vient de se terminer a été faite sans haine; elle a plus servi aux besoins intérieurs de la France qu’à ses besoins extérieurs. Les d’Orléans ont disparu, l’empereur Nicolas est mort, la sainte-alliance rompue; je ne vois plus rien qui puisse neutraliser la force qui attire les