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par la fin tragique du président de la police, exigent l’ajournement de son départ; il partira demain au soir, s’il le peut. »

La situation intérieure était en effet critique. La mort de M. de Hinkeldey avait mis les passions en présence; l’irritation publique avait peine à se calmer, et le langage des officiers et de l’aristocratie était devenu provocant; ils parlaient sans retenue de la présence du roi et des princes au service funèbre. Le roi n’osait pas sévir, mais il voulait congédier M. de Westphalen, le ministre de l’intérieur, qui n’avait pas su prévenir la funeste rencontre.

L’impression causée par le duel n’était pas encore calmée que surgissait un nouvel incident. M. de Manteuffel, le jour même où il partait pour Paris, était victime d’une machination. Le parti libéral tramait sa chute, et, pour le renverser plus sûrement, il avait fait distribuer un pamphlet qui ravivait une affaire fâcheuse pour lui qu’on croyait depuis des mois entièrement étouffée. Ce coup, perfidement porté contre le premier ministre au moment de son départ, lorsqu’il ne pouvait plus se défendre, fut jugé sévèrement. On l’attribuait à M. d’Usedom, dont j’ai crayonné le portrait ailleurs. Il se flattait qu’en soulevant l’opinion contre le premier ministre, il le remplacerait auprès du roi, qu’il avait séduit par le charme de sa personne et les tendances romantiques de son esprit. Autant M. d’Usedom était courtois, délicat dans les rapports privés, autant il était passionné en politique. Il poursuivait M. de Manteuffel avec acharnement, en 1856, pour avoir fait surveiller trop intimement ses adversaires, et en 1867, à Florence, oublieux de sa vertueuse indignation, il entrait en marché avec Mazzini pour se procurer la copie d’un traité imaginaire entre la France et l’Italie, qu’il croyait déposé aux archives du palais Pitti; il complotait même la chute de Victor-Emmanuel, si, dans l’éventualité d’une guerre, il devait se constituer l’allié de Napoléon III[1].

Le factum de M. d’Usedom et de ses amis fit long feu. Le moment était mal choisi. Le président du conseil venait d’assurer à la Prusse son entrée au congrès, et, depuis la mort de M. de Hinkeldey, il était devenu au roi plus indispensable que jamais. La demande d’interpellation que ses adversaires avaient déposée à la chambre, dans l’espoir de le renverser, fut enterrée dans une commission, et le roi lui donna un témoignage éclatant d’estime en lui conférant l’Aigle-Noir, la plus haute de ses récompenses.


VI. — LE RETOUR DU BARON DE MANTEUFFEL A BERLIN. LE PROGRAMME DE M. DE BISMARCK.

M. de Manteuffel arriva à Paris le 15 mars. Ses débuts ne furent pas exempts d’amertume; il subit de longues attentes et dut faire

  1. La France et sa politique extérieure en 1867, page 32.