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histoire sur laquelle le dernier message du président, M. Cleveland, vient de jeter un jour nouveau. Épuisée par une guerre sanglante et ruineuse, accablée sous le poids d’une dette de plus de 15 milliards, la république américaine ne s’est pas dit comme d’autres que c’était le moment d’être prodigue, de dépenser et de dépenser encore, d’ajouter à la rançon de la guerre toute sorte de dettes nouvelles de fantaisie. Elle n’a eu, au contraire, d’autre préoccupation que de se libérer, de dégager ses finances, et elle n’a reculé devant aucun moyen. A défaut d’autres impôts possibles, elle s’est hérissée de tarifs douaniers, qui n’avaient rien de libéral, il faut l’avouer, mais qui, en protégeant, en surexcitant la production nationale, ont procuré d’un autre côté au trésor d’immenses ressources pour l’amortissement de la dette. Les chefs successifs de la république américaine ne se sont laissé détourner par rien de ce grand objet. Ils ont réussi, ils ont amorti une grande partie de la dette ; on paie même par anticipation des obligations de l’état dont l’échéance est encore lointaine. Le résultat dépasse aujourd’hui toutes les prévisions. Le dernier message de M. Cleveland constate que le trésor est en possession d’excédens qui deviennent à leur tour un embarras, une cause de perturbation économique, et il ne voit d’autre remède que de procéder à une large révision de tarifs, de décharger l’état d’un excès de richesse. Voilà un phénomène étrange, fait pour donner à réfléchir à ceux qui n’ont en d’autre politique financière que d’abuser du crédit et de préparer des déficits. Que penseront de plus nos radicaux d’un président qui, en recevant, il y a quelques jours, les délégués de l’union évangélique de New-York, a pu dire que « chercher à développer l’enseignement religieux, c’était contribuer grandement au progrès des institutions américaines ! » C’est à ne plus s’y reconnaître pour nos républicains français ! C’est pourtant avec tout cela, avec le respect des forces religieuses comme avec la prévoyance financière, que la république américaine n’a cessé de grandir, qu’elle est sortie victorieuse de toutes ses crises.


CH. DE MAZADE.