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et respecter de tous comme la meilleure protectrice de cette jeune royauté dont elle a la garde, qu’elle présentait l’autre jour avec orgueil aux cortès. Elle s’est fait une honnête popularité dont elle recueillait les témoignages cet été dans ses voyages, qu’elle a retrouvée au milieu des représentans du pays, et qui est la garantie, la force de la monarchie. Le discours qu’elle a prononcé en ouvrant les chambres. est l’œuvre et le programme de son cabinet. Il touche discrètement, quoique assez longuement, aux principaux points des affaires de l’Espagne, sans avoir rien de précis ou de bien décisif. En réalité, ce n’est qu’un programme, ou, si l’on veut, un thème livré aux partis, qui se retrouvent en présence. La monarchie est sortie victorieuse de l’épreuve qu’elle a subie par la mort du dernier roi ; la situation parlementaire et ministérielle reste ce qu’elle était il y a cinq mois, lorsque le président du conseil, M. Sagasta, se voyait obligé de clore précipitamment la session, pour éviter des conflits qui menaçaient de s’envenimer. Les difficultés n’ont pas diminué, et les discussions qui vont se rouvrir semblent devoir être assez vives pour préparer au gouvernement de Madrid de sérieux embarras, peut-être même des occasions de crises nouvelles.

Quelle est au vrai la situation à Madrid ? Depuis deux ans qu’il est au gouvernement, le chef du cabinet espagnol, M. Sagasta, a été certainement un tacticien plein de ressources et un serviteur utile de son pays. Arrivé au pouvoir dans les circonstances les plus sombres, au lendemain de la mort du roi Alphonse, lorsque l’Espagne se trouvait avec un héritier de la couronne qui n’était pas encore au monde, une princesse étrangère appelée à exercer la régence, et des partis extrêmes enhardis à profiter d’une si douloureuse crise, il a joué le rôle d’un conciliateur habile. Par la politique libérale qu’il a inaugurée, il a désarmé jusqu’à un certain point les révolutionnaires ; par sa fidélité à la monarchie, il a rassuré les conservateurs : il a été l’homme du moment et il a, dans tous les cas, contribué à replacer l’Espagne dans des conditions infiniment meilleures. Malheureusement, la difficulté pour lui est toujours de garder l’équilibre entre des partis qu’il veut rallier ou ménager, de suivre un programme sans soulever de dangereuses hostilités, ou même sans mettre le trouble parmi ses alliés et quelquefois jusque dans son propre ministère. À ce jeu de tactique, le président du conseil a souvent réussi ; il a été aussi plus d’une fois près d’échouer. C’est peut-être là qu’il en est aujourd’hui ; il va avoir dans tous les cas fort à faire. M. Sagasta compte toujours, sans doute, sur sa majorité, qu’il a réunie à la veille de l’ouverture de la session et qu’il s’est efforcé de rallier par son habile parole. Il est cependant exposé à rencontrer sur son chemin de sérieux adversaires. Les conservateurs, dirigés par M. Canovas del Castillo, ne lui