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réduit à commencer par demander des douzièmes provisoires. Le programme ministériel est sans doute celui que M. Carnot vient de tracer dans son premier message aux chambres, et où il fait appel à l’entente des partis pour s’occuper en commun des affaires du pays, pour arriver, s’il se peut, sans s’exposer à un échec fastueux, au grand centenaire, à l’exposition universelle de 1889.

Ce ne sont que les premiers pas, les premiers essais d’un gouvernement qui vient de naître, qui a encore à se débrouiller et à se fixer. M. Carnot, avec son nom, avec ses honnêtes intentions, peut assurément, s’il le veut, être un président utile ; mais ce n’est pas avec des mots qu’on se tirera d’affaire. Pour M. le président de la république comme pour les hommes qu’il peut associer à son gouvernement, la première condition est de renoncer à une illusion et de s’avouer une vérité. L’illusion, c’est cette concentration républicaine dont on abuse, qui n’est qu’un mot vide de sens ou une hypocrisie de conciliation impossible, un artifice de circonstance et, en définitive, l’anarchie organisée dans le gouvernement. La vérité qu’il faut s’avouer, c’est qu’on se trouve en face d’une situation épuisée et ruinée, à laquelle on ne peut remédier que par une politique sérieusement et résolument réparatrice. La faiblesse de beaucoup de républicains est de sentir le mal et de reculer devant le remède. Ils ne s’y trompent pas ; ils comprennent qu’avec la politique suivie depuis dix ans, on est arrivé à des finances compromises, aux troubles des consciences, aux confusions administratives, — et, en fin de compte, à cette crise d’anarchie que la France vient de traverser, qui n’est peut-être que suspendue. Ils le sentent ; mais dès qu’il faut prendre une résolution, ils s’arrêtent, ils craignent toujours d’être accusés de pactiser avec la droite, ils n’osent plus se décider. Eh bien ! on tournera tant qu’on voudra, ce n’est qu’avec ceux qui acceptent les conditions de gouvernement qu’on peut gouverner ; ce n’est qu’avec une politique loyalement, libéralement conservatrice qu’on peut remettre l’ordre dans les finances, rendre à l’administration ses ressorts nécessaires, refaire un peu de paix morale, raviver enfin dans le pays une confiance tarie ou diminuée par les déceptions.

Le mot de M. Thiers, les républicains à demi clairvoyans ne peuvent plus s’y méprendre, est et reste vrai plus que jamais : « La république sera conservatrice ou elle ne sera pas ! .. » Elle se ressaisira par un énergique effort, elle se pliera aux conditions invariables de la vie régulière, aux nécessités d’un gouvernement sérieux, ou elle se débattra dans l’inexorable alternative, toujours exposée à « finir dans l’imbécillité ou dans l’anarchie. » Dernière et invincible moralité de ces événemens dont la France reste depuis quelque temps le témoin consterné !

Il en est des grandes affaires internationales comme des affaires