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changé de face par l’agitation confuse et bruyante qui avait commencé à envahir Paris aux derniers jours de la présidence de M. Grévy. Il y avait désormais un grand électeur qui venait d’entrer en scène, avec qui il fallait visiblement compter : c’est l’esprit révolutionnaire qui reprenait son rôle, organisant les manifestations, donnant des mots d’ordre par les journaux les plus violens ou par les discours des réunions publiques, affectant au besoin des airs de patriotisme, et sous toutes les formes menant la campagne la plus furieuse contre un seul homme, — M. Jules Ferry ! Le grand ennemi, c’était maintenant M. Jules Ferry, et pour un peu, après avoir accablé M. Grévy d’ignominies, on serait revenu à lui en haine du successeur qu’on craignait de voir entrer à l’Elysée. Pendant quelques jours, M. Jules Ferry a été l’objet de tous les outrages, de toutes les menaces, de toutes les vociférations des manifestans ameutés autour du Palais-Bourbon. On ne cachait pas les desseins les plus sinistres ; on ne dissimulait pas que l’élection de M. Ferry serait considérée comme un défi auquel on répondrait par la guerre civile. C’était peut-être pour M. Jules Ferry un titre de plus auprès de ceux qui pouvaient être tentés de mesurer sa valeur aux attaques dont il était l’objet ; c’était aussi peut-être pour d’autres plus timorés, moins impatiens de combat, un motif de réflexion.

Qu’est-il arrivé ? Le congrès s’est réuni dans ces conditions violentes, et, jusqu’au dernier moment, il est certain qu’on n’a pas su ce qui allait arriver. L’esprit de paix ou de concession a probablement soufflé à propos dans l’assemblée de Versailles. Le fait est que M. Jules Ferry n’a point été élu, que M. de Freycinet a eu encore moins de chances, que le préféré du scrutin a été le moins militant des candidats, M. Sadi Carnot, à qui M. Jules Ferry, du reste, après une première épreuve, s’est empressé lui-même de se rallier. Et c’est ainsi que de cette vaste agitation, qui a commencé il y a deux mois par des révélations scandaleuses, qui n’a pas tardé à devenir une crise révolutionnaire, est sortie, en fin de compte, une présidence qui peut être considérée comme une trêve. On ne peut pas assurément s’en plaindre ; on ne saurait non plus se faire illusion. Il ne faudrait pas se méprendre sur le sens intime et la moralité de cette série d’incidens qui ont conduit le pays au point où il en est encore à se demander si depuis quelque temps il n’a pas fait un mauvais rêve.

La paix du moment, la paix matérielle, est revenue à Paris sans doute. L’élection de M. Carnot y a contribué ; peut-être aussi les prévoyantes et énergiques mesures de défense prises contre les tentatives de désordre ont-elles eu leur influence. Tout a mieux fini qu’on ne le craignait, c’est entendu. Ce qui vient de se passer n’a pas moins sa signification et éclaire d’un jour singulièrement saisissant toute une situation dont la fragilité est l’essence. On a beau inscrire dans la constitution la stabilité par l’inviolabilité temporaire de la première magistrature de l’état,