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La Tosca est un éclatant succès plutôt qu’un succès d’estime : pour M. Sardou, je rêvais l’un et l’autre. Après la scène de comédie du premier acte, je me voyais encore en droit d’espérer les deux : je me suis réjoui trop tôt.

Au lendemain de la première représentation, j’ai la dans le New-York Herald que tous les Américains de Paris constataient cette réussite ; je la constate avec eux. Mais ce même journal promet à ce drame qu’il restera toujours à titre de Sardou’s chef d’œuvre ; je me souviens trop des ouvrages qu’on veut sacrifier à celui-ci, pour que l’éloge ne me paraisse pas impertinent. La Tosca n’est pas le chef-d’œuvre de M. Sardou ; et n’eût-il fait que cette pièce, j’hésiterais à la qualifier ainsi. Au temps où l’acteur Odry faisait pâmer de rire les Parisiens, quelqu’un dit un jour, sans y penser, que les Saltimbanques étaient un chef-d’œuvre : « Un chef-d’œuvre ?.. s’écria Ponsard. Il faut que je le relise !.. » De M. Victorien Sardou, depuis Patrie et la Haine, — même après Théodora, et même après le Crocodile, — j’attendais un drame que je pusse relire ou du moins lire tout entier.

Le matin même où le New-York Herald accordait à la Tosca ce passeport pour le Nouveau-Monde et pour l’éternité, un journal français publiait une boutade de M. Sardou sur Shakspeare : « Hamlet, c’est idiot !.. » L’Odéon, la semaine dernière, a hasardé une comédie en vers, imitée de ce Shakspeare, et d’une de ses œuvres qui n’a pas l’importance d’Hamlet et qui se relit pourtant : Beaucoup de bruit pour rien. Je ne puis examiner aujourd’hui les huit tableaux de M. Legendre avec le soin qu’ils méritent. Mais je serais bien étonné si, d’ici au jour où j’en parlerai, la mode ne prenait pas d’aller les voir. Une fabulation habile, des vers de poète comique, — et aussi des vers de poète, — une musique de scène d’un rare mérite (elle est de M. Benjamin Godard), des costumes délicieux et des décors à l’avenant, voilà plus qu’il n’en faut pour faire passer une agréable soirée. Beaucoup de bruit pour rien sera le plaisir des grandes personnes, et surtout de celles qui aiment l’élégance en toutes choses, comme, à l’Ambigu, Mathias Sandorf, un amusant mélo tiré par MM. Busnach et Maurens du roman de M. Jules Verne, sera le plaisir des petits enfans.

Mais un à-propos n’attend pas : disons tout de suite que, ce 11 décembre, — jour anniversaire de la naissance d’Alfred de Musset, — avec le CapriceMlle Legault a été fort applaudie, la Comédie-Française a donné la Nuit de juin, de M. Maurice Lecorbeiller. Vers la fin d’un ingénieux à-propos ou avant-propos en prose, où l’on a vu s’entretenir avec un oncle de fantaisie un Alfred de Musset du Musée Grévin, Mlle Dudlay, figurant la Muse, a déclamé de beaux vers, écrits selon le sentiment et selon la façon du poète qu’il s’agissait de fêter.


Louis GANDERAX.