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resté en-deçà de son espérance, il n’aurait pas trouvé ce drame plus mauvais : « Eh bien ! aurait-il dit, cela fait deux pièces manquées au lieu d’une ! » — D’autre part, si je ne jure pas que la Tosca est de tout point exécrable, on va me soupçonner de lâcheté. Je suis tenté à la fois d’échapper à un tel soupçon et au danger… Je me connais, je sais de quel côté la tentation est la plus forte : il vaut mieux, dans l’intérêt de M. Sardou, que je ne m’arrête pas davantage à ces pensées ; voici mes impressions, notées au fur et à mesure pendant ce spectacle, et présentées sans art.

Après une exposition de mélodrame… Oui, de mélodrame : deux hommes, qui se voient pour la première fois, causent abondamment : le second déclare au premier qu’il est un prisonnier évadé, un condamné à mort ; le premier jure d’exposer sa vie pour sauver le second, et nous sommes assurés, à son accent, qu’il tiendra parole ; au cours de l’entretien, ils échangent des confidences sur leurs bonnes fortunes et se disent les noms de leurs maîtresses avant de se dire leurs noms, à eux… Baste ! Il faut une exposition : l’auteur ne fait pas de façons, voilà tout. Après ce début, voici une scène de comédie charmante. La Tosca, une chanteuse à la mode, vient trouver son amant, le peintre Mario, dans cette église où il achève un tableau de sainteté. Elle offre des fleurs à la madone, et, sous les yeux indulgens de son idole céleste, en bonne Italienne, elle taquine et câline son idole de chair : elle gronde Mario sur son peu de piété, en frôlant amoureusement ses moustaches. Et soudain, elle s’aperçoit que dans le visage de cette Madeleine, qu’il peint sur le mur, il a mis quelque chose d’une angélique marquise ; elle devient jalouse : pourquoi les yeux bleus de cette drôlesse du monde ? Une Madeleine ne peut-elle avoir aussi bien ses yeux noirs, à elle, la Tosca ? Dans sa gaîté, dans sa jalousie, dans toutes ses manières d’aimer, cette jeune femme est également mutine ; infiniment diverse, elle est toujours vive et naturelle, spirituelle et gracieuse. Au fait, c’est Mme  Sarah Bernhardt qui revient pour la figurer parmi nous : l’enfant prodigue, en ses voyages, n’a rien perdu, ni de ce talent dont elle a prodigué les trésors, ni même de son charme enfantin. Le personnage est digne de l’artiste : voilà un éloge.

L’action se passe à Rome, en 1800, alors que les troupes et la police du roi de Naples occupent la ville éternelle, après la chute de la République Parthénopéenne, à la veille de Marengo. Je connais un peu les mœurs de l’époque et du pays, les raffinemens de corruption de cette cour et les raffinemens de cruauté de ses agens. Emma Lyon, devenue lady Hamilton, règne sur la reine ; le crime de porter des cheveux courts, à la mode française, est puni de mort, et de quelle mort ! .. La torture est rétablie. Mammone est glorifié, — ce chef de partisans