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répond-elle, très émue et très brave ; et elle se retire sans ajouter un mot. Mais elle reparaît, et comme le maladroit quadragénaire s’excuse d’avoir ainsi traité « une grande jeune fille de dix-huit ans, » — c’est l’âge qu’elle a sincèrement déclaré tout à l’heure, — elle interrompt, par une ruse gentille : « Dix-neuf ! » On la dispenserait peut-être de raconter à ce monsieur la mort de sa mère : ce récit, où l’on attend vainement quelque détail particulier et qui n’aboutit à aucun effet spécial, semble une entreprise quelque peu indiscrète sur la sensibilité du public. Mais l’agréable enfantillage que la révélation de ce vœu, fait en commun avec deux amies : un an après la sortie du couvent, on y rentrerait si l’on était dégoûtée du monde ! La naïve rouerie que celle de ce jugement sur le fiancé d’une des trois conjurées, — déjà infidèle, celle-ci, à sa vocation : — « Un enfant, figurez-vous… Il n’a pas vingt-cinq ans ! » Après cette innocente invite, il est naturel que l’entretien tourne en duo d’amour. Il est interrompu ; mais, à la reprise, quelle jolie façon a cette jeune fille de trahir son secret, — par l’éloge d’une de ses rivales, de la plus digne, de celle qui mérite vraiment d’être enviée, — par l’aveu de son aversion pour les deux autres, oh ! les vilaines ! qui ne peuvent exciter que la jalousie. Enfin, au troisième acte, elle désarme notre préférence pour Clotilde par la confiance qu’elle met en elle, par la sincérité de sa confession, et même, pendant quelques minutes, par sa courageuse intention de renoncement ; et lorsqu’elle se trouve de nouveau en tête-à-tête avec ce galant homme qui, lui aussi, par un scrupule de sa raison, prétend renoncer à son espérance, elle nous émeut par la défense pudique et presque muette et par la persistance de son amour ; et, lorsqu’il se ravise et qu’il en vient, par une pente insensible, jusqu’à la presser, à la sommer d’ouvrir son cœur, nous lui savons gré, du moins, de la chasteté de son aveu : elle a honte… Qu’elle épouse son Arnolphe ! Il n’y a pas moyen de lui en vouloir… ; mais, décidément, « la petite sœur » nous plaisait bien aussi.

Quant à ce vainqueur, à ce héros de roman parisien, qui traîne tous les cœurs après soi, il est bien évident que c’est à disposer les nuances de son caractère que l’auteur s’est appliqué avec prédilection. Nous ne pouvons que sourire de lui, mais ce ne sera pas sans indulgence : nous le reconnaissons pour notre prochain, et pour un prochain qui n’est, en somme, ni méprisable ni odieux. Le marquis de Simiers « avait fait de l’amour sa carrière, » ce qui ne laisse pas d’être plaisant, mais il en convient lui-même. Alors qu’il est menacé par la limite d’âge, il se plaint franchement de la gêne qu’il éprouve, « enfermé entre le désir et le ridicule ; » et il donne ces définitions de la vie et de la mort : « Ce n’est que quand on commence à aimer, qu’en vérité l’on commence à vivre ; et ne plus aimer, c’est commencer à mourir… » Hé ! voilà, savez-vous, qui n’est pas tellement sot ! — Après avoir essayé de son ardeur, qui ne s’éteint pas encore, auprès d’une