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tête blonde qui lui est chère, où le voile nuptial pourra se poser : « Vous qui donniez autrefois de si bons conseils à celles qui sont folles, vous n’en donneriez pas maintenant de mauvais à celles qui sont sages ! » — Oui, vraiment, elle nous séduit dès l’abord, cette grave et souriante figure. Si douce que nous soit sa présence, il est bon que, par un caprice de l’intrigue, elle disparaisse pendant le deuxième acte : nous ne sommes déjà que trop attachés à cette prochaine victime. Au troisième, et jusqu’au dénoûment, il est bon que, par un artifice un peu étrange, elle cache à tout le monde, à nous comme à sa mère, la nouvelle de son veuvage, qu’elle est allée vérifier dans l’intervalle. Nous ne sommes que trop rengagés dans une raisonnable amitié pour elle, et notre sympathie n’est que trop fortifiée par un surcroît d’estime et de pitié : elle écoute avec une résignation si fière et si modeste, avec une dignité si spirituelle et si touchante, avec une possession de soi tellement dénuée d’apparat, l’étrange confidence de cet amoureux qui, pendant son absence, a si vite changé d’objet ! Enfin, chargée d’une mission de confiance auprès de sa rivale, elle s’en acquitte avec tant de désintéressement ! Et ce n’est pas le désintéressement d’une Romaine de tragédie ou d’un ange de mélodrame, non, mais celui d’une femme et d’une Française, qui se détache, non sans lutte contre elle-même, d’un espoir longtemps caressé. Elle a d’ailleurs assez de délicatesse, et, au service de cette délicatesse, une volonté assez forte pour que sa rivale chérie ne se doute pas de son sacrifice. Oh ! l’aimable créature ! Nous admettons à peine que cet homme d’esprit, plus âgé qu’elle de dix ans, la délaisse pour épouser la voisine, de dix années encore plus jeune qu’elle. Tant mieux, au fait : elle nous reste ! Il faut remercier M. Pailleron en même temps qu’on le félicite : il n’a jamais tracé un caractère plus exquis.

« La petite sœur me plaisait bien aussi, disait un libertin de ma connaissance, mais enfin on ne peut pas tout avoir ! » Dans l’honnête harem que M. Pailleron nous présente, c’est l’aînée que nous choisirions ; mais la petite sœur nous plaît aussi. Toute menue et silencieuse, l’originale entrée que fait cette souris blanche ! « La fille du premier mariage de mon second mari,.. » c’est ainsi que Mme de Moisand, la mère de notre amie Clotilde, détermine son état civil ; Cendrillon amoureuse, voilà comment nous définissons d’emblée cette petite personne qui sort du couvent. L’énigme qu’on pressent au fond de ses yeux clairs, sous ses bandeaux blonds, n’est pas sans attrait : un sentiment timide, rabattu encore par la sévérité d’une marâtre (assez débonnaire au fond, mais inintelligente et gauche), voilà cette passion romanesque, rapportée du « parloir » à la maison. Elle se fait jour, au deuxième acte, sous le coup d’une plaisanterie un peu dure. Ne s’avise-t-il pas, celui que la fillette aime en secret, d’offrir une poupée à « mademoiselle Souris ? » — « Je m’appelle Marthe de Moisand, monsieur ! »