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Le sujet, d’abord, est ingrat. Il tient de la gageure, et d’une terrible espèce de gageure, qui exige tout l’effort de l’art (M. Pailleron ne le ménage pas, mais on le sent), et qui, même gagnée, n’inspire pas à l’assistance une satisfaction, une sécurité parfaites. Quand Molière imagina l’École des femmes, il n’avait plus l’âge d’Horace, mais bien plutôt celui d’Arnolphe ; et pourtant aux discours enflammés d’Arnolphe, son Agnès répond tout net :

Horace avec deux mots en ferait plus que vous !

Et Molière est avec Horace, avec Agnès, avec l’ardente galanterie du jouvenceau et la naïve tendresse de la fillette, contre Arnolphe et sa passion. Il se conforme, en dépit de son amour-propre personnel et peut-être de son amour, au simple vœu de la nature : elle ordonne que la jeunesse attire la jeunesse, elle souhaite que la moustache blonde se marie aux lèvres roses ; tant pis pour la barbe grise ! Il est vrai que Molière, dédiant son œuvre à une princesse de dix-neuf ans, se contenta de lui écrire : « Je ne vois point ce que Votre Altesse Royale pourrait avoir à démêler avec la comédie que je lui présente. » Il n’aurait pu s’autoriser de ce qui suivait pour lui adresser un placet galant. Il se concilia du moins le public et la postérité, à qui ce courageux bon sens, cette juste soumission à la nature, avaient quelque chance de plaire : il se montrait, en cette occasion, à la fois moraliste et auteur dramatique.

M. Pailleron, comme dédicace, en tête de la Souris, a mis une réduction du sonnet d’Arvers, un joli madrigal, d’une discrétion un peu voyante. C’est que la pièce pourrait s’intituler : la Revanche d’Arnolphe. Elle ne va pas toute seule, comme on pense bien, cette revanche ; il faut que l’auteur y aide. Il y met, en effet, toute son adresse, toute sa grâce. Il ne peut faire cependant, quelques ingénieux moyens qu’il emploie, il ne peut faire que la fin soit approuvée par le cœur ni même par la raison. Si spécieusement qu’il définisse l’amour de ce quadragénaire pour cette petite fille, le poète ne réussit pas à nous faire agréer cet amour. « Paternité charmante, » soit : lorsqu’elle veut, à la fin, exercer son charme, l’exercer tout de bon, cette paternité nous gêne, et je dirais, pour un peu, qu’elle nous révolte. Lorsqu’on en vient au fait, lorsque le héros, pour la première fois, tutoie l’héroïne, quelques insidieuses mélodies qu’il ait filées jusqu’à cette note dominante, elle détonne. Prêtez l’oreille ! Le virtuose qui souffle ce duo n’ose pas commander à la pauvrette (un soprano aigu) de rendre au ténor ce tutoiement : elle ne pousse pas jusque-là, devant nous, sa complaisance filiale. Mais le ténor insiste, il tutoie derechef, il tutoie éperdument ; et, sans avoir l’imagination bien vive, sans présager ce qui sera, en présence de ce qui est, tout simplement, le bonhomme public se