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les plus mauvais siècles du moyen âge, au temps où les papes se voyaient presque tous chassés de Rome par le peuple, les barons ou les empereurs, les pontifes, même exilés, remplacés par des antipapes, avaient tenu d’une main souveraine la règle de la foi universelle. Les hérésies, les philosophies, les infractions à la discipline ecclésiastique, les entreprises des princes, tous les intérêts qui, de près ou de loin, touchaient au christianisme, avaient constamment abouti à un concile du Latran, à une décision du pape, à un acte solennel de l’autorité apostolique. Rien ne se faisait ou ne se disait en Occident qui ne dût recevoir l’approbation ou le blâme de Rome. L’Italie et l’Europe tourmentaient de mille manières le suzerain du patrimoine de saint Pierre ; elles s’inclinaient toujours en tremblant quand l’évêque de Rome parlait au nom de Dieu. Les têtes rebelles qui n’avaient point fléchi furent frappées d’une façon terrible : l’empereur Henri IV, Arnauld de Brescia, Frédéric II, le roi Manfred. La fonction politique du pape, précaire et sans cesse suspendue à Rome et dans le domaine ecclésiastique, indécise et contestée dans le reste de l’Italie, excepté au moment des ligues communales contre l’empire, était, quand elle agissait au loin, d’une grandeur incomparable. Quand le pape se tournait vers l’empereur, le roi de France ou la terre-sainte, il montrait dans son geste et sa parole toute la puissance surhumaine du sacerdoce. Ce furent les temps héroïques de la papauté romaine, qui s’arrêtèrent brusquement après Boniface VIII. Par l’attentat de Philippe le Bel, les princes commencèrent d’annuler le droit de l’église à intervenir dans les affaires religieuses de l’Europe. L’exil d’Avignon fut une déchéance tout autant pour l’église que pour son chef. Le pape perdit alors le prestige de cet épiscopat œcuménique que Rome seule pouvait contenir ; hors de Rome, capitale spirituelle et politique du monde, il ne semble plus, aux hommes du moyen âge, qu’un archevêque français. L’église, protégée et surveillée par le roi de France, ne fut plus, comme jadis, la suprême autorité morale, plus haute que tous les rois, et qui, dans la misère même de son siège à Rome, faisait à tous la loi. Ses décisions doctrinales, qui n’étaient plus promulguées au Latran, ne furent plus que l’œuvre impuissante d’une église nationale. La chaîne qui, par le pape, rattachait l’église à Dieu, parut rompue en son anneau essentiel. C’est bien le sentiment des grands chrétiens et des politiques de l’Italie au XIVe siècle : Dante, Pétrarque, sainte Catherine de Sienne. Le pape rentra dans Rome, mais, grâce à l’horrible désordre du schisme d’Occident, il ne fut plus capable de ressaisir toute sa primauté apostolique. L’Europe se demanda, durant plus d’un demi-siècle, où étaient l’église et le pape véritables, et les conciles de Constance et de Bâle purent seuls empêcher le morcellement de la chrétienté en église