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capitulation subie par son gouvernement : « Malgré Haugwitz, malgré George-Guillaume, notre histoire n’offre rien, à mon avis, qui puisse être comparé à la défaite d’Olmütz. Réunir les chambres et l’armée au roulement du tambour, pour recevoir un soufflet en cérémonie de gala ! Être obligés de publier nous-mêmes notre honte, notre ignominie au son des trompettes, au bruit des timbales, avec protocoles et documens ! .. Mais aide-toi et le ciel t’aidera ! — Nous ne pouvons pas demander que les autres agissent pour nous, si nous-mêmes nous ne faisons rien. Si mauvaise, si honteuse que soit notre situation présente, il y a pourtant un fait que ni la lâcheté ni la trahison ne peuvent détruire : c’est que l’Allemagne a un avenir, et que la Prusse est appelée to take the lead. L’aveugle parti de la Gazette de la Croix peut étaler tant qu’il voudra son système historique, Rochow, Stahl, Gerlach échoueront, car c’est Dieu et non pas Manteuffel qui gouverne le monde… Nous agirons sans relâche contre nos bons amis Nicolas et François-Joseph ; nous encouragerons les Turcs, nous conseillerons aux Italiens de se grouper autour de la maison de Savoie, nous ferons comprendre au parti national dans toute l’Europe que le Piémont et la Prusse sont les deux seuls états européens dont l’existence et l’avenir sont étroitement liés au succès de l’idée des nationalités. Nous empêcherons à tout prix l’accroissement des états moyens de l’Allemagne ; puis nous attendrons le moment où l’Autriche, essayant de régler ses finances et d’organiser son système politique, fera un éclatant fiasco pour triompher à notre tour et rendre à Schwartzenberg avec usure ce qu’il nous a fait. »

Le programme formulé dans ces pages éloquentes couvait au fond de bien des cœurs ; c’était celui du prince de Prusse. M. de Bismarck s’y rallia à son tour. Après une éclatante conversion, il attaqua « l’odieuse convention » qu’il avait défendue, pénétré des mêmes indignations patriotiques. Mais inspirées de Frédéric II, ses conceptions dépassèrent de la hauteur du génie les rêves du parti libéral. C’est par de ténébreuses combinaisons diplomatiques, par des amorces trompeuses, par des évolutions rapides, audacieuses, par le fer et le sang, et non par la liberté, qu’il entendait faire la Prusse d’abord solide et compacte, pour réaliser ensuite, par surcroît, l’unité allemande. Son œuvre est achevée aujourd’hui, sinon fondée ; elle ne s’est pas accomplie, comme l’œuvre italienne, par l’attraction irrésistible des sentimens, par la toute-puissance des idées, elle s’est faite par la violence, par la spoliation. Elle a coûté du sang et des larmes, imposé d’immenses sacrifices d’hommes et d’argent ; elle en imposera longtemps encore. Elle fauchera des générations et sera la ruine des états. Elle a réveillé les haines