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l’événement avait démenti ses prévisions[1]. D’une haute faveur elle était tombée en disgrâce. Elle subissait la peine de ses erreurs ; comme M. de Kisselef, elle avait mal vu, mal renseigné : on lui imputait une partie des fautes commises. Impressionnée par les propos frondeurs des salons, elle s’était trompée sur les destinées réservées à Napoléon III ; elle n’avait cru ni à la solidité de son trône, ni à la durée de son règne : elle l’avait pris pour « un aigle de passage. » On lui reprochait surtout d’avoir contrecarré la politique conciliante du comte de Nesselrode et poussé aux résolutions violentes en mettant en doute, jusqu’à la dernière heure, l’éventualité d’une alliance entre la France et l’Angleterre. L’insuccès a toujours, dans tous les pays et sous tous les régimes, engendré les récriminations.

A Paris, où les impressions sont si vives et si mobiles, et les résolutions si rapides et si changeantes, la diplomatie étrangère, plus que dans toute autre capitale, est exposée aux méprises. Rien ne lui est plus aisé que d’être renseignée, les secrets d’état sont colportés dans les cercles et dans les boudoirs ; mais le difficile, pour elle, est de discerner le vrai du faux, de réduire les informations à leur valeur, de se dégager de l’esprit de parti et d’asseoir ses jugemens avec sérénité sur des données certaines.

Le cabinet de Pétersbourg avait, auprès de la cour des Tuileries, un intermédiaire moins compromettant et plus autorisé que Mme la princesse de Liéven : c’était le ministre de Saxe, le gendre du comte de Nesselrode. Le baron de Seebach, chargé de la protection des sujets russes en France, était moins le représentant du comte de Beust que de son beau-père ; il s’était donné pour tâche de réconcilier la France avec la Russie. Si la paix ne fut pas son œuvre, il la facilita du moins dans les négociations intimes qui précédèrent le congrès de Paris. L’importance que lui donnait sa parenté, et qu’il ne dissimulait pas volontiers, portait ombrage aux Anglais ; ils savaient l’empereur faible, changeant : ils craignaient qu’il ne se laissât entraîner par l’envoyé saxon dans de scabreux pourparlers. Leur diplomatie nous prêchait la circonspection, la méfiance ; elle tenait les représentans des petites cours allemandes pour des hôtes dangereux, habiles à nous berner, à surprendre nos secrets, et, pour se grossir, toujours prêts à répéter ce qu’on leur confiait. « Lord Bloomfield, écrivait M. de Moustier, nous engage à tenir nos secrets militaires mieux gardés ; il prétend que tout ce qui se fait au ministère de la guerre, nos plans d’opération et le

  1. Mémoires de lord Malmesbury. — « 12 décembre 1853. — L’empereur Nicolas pense que lord Aberdeen ne s’allient jamais avec la France, et que le moment est venu de tomber sur la Turquie. Il paraît que lord Aberdeen a écrit à la princesse de Lièven que rien ne pourrait l’amener à faire la guerre à la Russie.