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principes et d’intentions dont nous aurions pu sérieusement prendre ombrage. Elle affirmait sa fidélité au traité du 2 décembre, elle ne nous refusait ni son concours moral ni son assistance diplomatique, tant que nous maintiendrions nous-mêmes les principes de l’alliance. Mais serions-nous en mesure de la soutenir contre une attaque éventuelle de la Russie ? Pouvait-elle compter sur nous en Allemagne et surtout en Italie ? On prétendait que Napoléon III n’avait pas rompu ses attaches avec les révolutionnaires italiens. N’avait-il pas dit un jour au baron de Hubner en fumant : « J’ai confiance en l’Autriche, mais vous savez que je puis mettre le feu à l’Europe aussi aisément qu’à cette cigarette, M Il est des mots, seraient-ils dits en souriant, qu’on n’oublie pas. On parlait aussi d’une entente directe qui, par des voies occultes, se poursuivait entre Paris et Pétersbourg. Ces appréhensions ne se manifestaient pas seulement à Vienne, elles avaient cours aussi à Berlin. « Le général de Gerlach, écrivait M. de Bismarck, appréhende un rapprochement entre la France et la Russie ; je ne le contredis pas, car je contredirais du même coup notre auguste maître, mais je n’y crois pas. »


IX. — LA PRINCESSE DE LIÉVEN ET LE BARON DE SEEBACH.

La présence de Mme la princesse de Liéven à Paris, en pleine guerre, n’avait pas peu contribué à accréditer ces bruits dans les chancelleries. On prétendait qu’elle traitait avec M. de Morny, qui, auprès de l’empereur, représentait les tendances pacifiques. Mme de Liéven n’avait pas de mission politique, son séjour en France était au contraire sévèrement jugé à Pétersbourg. Elle était venue à Paris sous le prétexte de le traverser pour se rendre à Nice, mais elle y était restée, retenue par ses amis, par ses habitudes, et aussi par de brillans souvenirs. Elle avait occupé dans la société parisienne une haute situation, justifiée par les grâces de son esprit, surtout du temps de sa grande intimité avec M. Guizot, dont s’effarouchait Louis-Philippe dans ses entretiens avec Victor Hugo. Mme de Liéven, jusqu’au début des complications orientales, correspondait avec sa cour ; elle lui révélait le dessous des cartes de notre politique ; ses correspondances, comme celles que Grimm et Voltaire entretenaient avec Catherine II, lui apprenaient sous une forme piquante, les choses intimes de la ville et des Tuileries que la diplomatie officielle négligeait ou ne soupçonnait pas. Souvent aussi elle servait de porte-parole ; elle disait, sous le manteau, ce qu’on se refusait à écrire. Son rôle avait cessé avec la guerre. Lord Aberdeen, dont elle était la confidente, avait disparu de la scène, et