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son côté, publiquement, un avertissement significatif : « Nous sommes encore à attendre, disait-il dans le discours du trône du 2 juillet, que le cabinet de Vienne exécute ses engagemens, qui consistent à rendre efficace le traité d’alliance. » M. de Buol, qui déjà avait escompté les Principautés danubiennes, se retournait inquiet et déçu vers l’Allemagne. Le temps des lauriers était passé ; au lieu de jouer un grand rôle en Europe et de s’affirmer dans les Balkans, il se voyait réduit à flatter la Prusse et à solliciter son appui à Francfort. La Diète était son plus solide refuge. L’adhésion de l’Allemagne aux bases du traité du 2 décembre devait lui assurer d’une manière irrévocable les concessions faites par le prince Gortchakof à la conférence de Vienne.

Il s’adressait mal, la Prusse triomphait : elle tenait à faire sentir à sa rivale le prix de son alliance et à prouver aux états secondaires de l’Allemagne combien sa politique avait été bien inspirée en ne s’engageant d’aucun côté ; plus on la cajolait, plus elle se montrait revêche, altière. « L’Autriche nous fait beaucoup d’avances, disait M. de Manteuffel avec une pointe d’orgueil, mais je ne suis pas d’humeur à lui tendre la main, je m’en méfie, je vois une carte à solder au bout de ses caresses ; elle voudrait nous mettre à des une partie de ses dépenses militaires, sous le prétexte d’avoir assuré la liberté de la navigation du Danube. » Au fond, ce qu’il voulait, c’était de souffler la médiation au comte de Buol. « Ce serait un bon tour à lui jouer, » disait-il à un de ses familiers. Il spéculait sur les déceptions que le cabinet de Vienne avait values à la France et à l’Angleterre pour se rapprocher d’elles et leur offrir d’appuyer à Pétersbourg des propositions de paix plus avantageuses que celles de l’Autriche. C’est cette arrière-pensée qui lui faisait dire à lord Bloomfield, avec une vivacité qui ne lui était pas habituelle : « L’Autriche est une puissance avec laquelle nous ne ferons rien et avec laquelle personne ne fera jamais rien. Vous vous en apercevrez de plus en plus. Je sais que vous n’êtes pas contens de nous, je ne vous en blâme pas ; nous n’avons pas fait, sans doute, ce que vous espériez, mais du moins nous ne vous avons pas trompés. »

L’Autriche n’était pas aussi perfide qu’on se plaisait à nous le faire croire. Sa situation était complexe, il ne lui était pas aisé de prendre un parti rapide, violent ; elle avait à se prémunir de tous les côtés contre la révolution en Italie, et dans ses provinces slaves, contre les menées russes en Orient et contre les agissemens de la Prusse en Allemagne : son anxiété était naturelle. La politique autrichienne, si hardie, presque téméraire, après les exploits du prince Mentchikof à Constantinople, était devenue prudente, inquiète. Ses hésitations, cependant, n’impliquaient pas une défection de