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présens de tous les points du royaume. Le soir, dans une fête organisée en son honneur, à laquelle assistaient la princesse et ses deux enfans, mais où tous les membres de la famille royale, sauf le prince Adalbert, brillaient par leur absence, il fut l’objet d’ovations enthousiastes. L’instinct populaire semblait pressentir qu’il serait le régénérateur de la patrie.


VI. — NAPOLÉON III ET L’ARMEE DE CRIMÉE.

Les armées alliées, qui avaient si brillamment débuté sur la terre antique de la Chersonèse par la bataille de l’Alma, étaient, depuis près d’un an, condamnées à poursuivre, exposées à toutes les privations, un siège meurtrier. Sébastopol, « le nid d’aigle de la puissance moscovite, » paraissait imprenable ; chaque mamelon était par la défense transformé en citadelle ; dès qu’une redoute était prise, il s’en élevait une seconde : on désespérait du succès. Aussi l’empereur, au mois de mars 1855, cédant aux élans de son cœur, voulait-il, pour soutenir le moral de ses soldats, payer de sa personne et se mettre à la tête des armées. Sa détermination était hasardeuse, impolitique ; elle impliquait une régence, et la dynastie n’était pas encore assez solidement assise pour permettre à un souverain dont les origines étaient contestées d’exposer son prestige et sa personne, à l’extrémité de l’Europe, dans une expédition ingrate, périlleuse : la fortune pouvait le trahir. Ses conseils et ses entours, préoccupés des partis hostiles, craignaient qu’une révolution n’éclatât pendant son absence[1]. M. Drouyn de Lhuys, de tous les conseillers de Napoléon III, se prononça le plus résolument contre le départ. Pour le conjurer, il s’adressa à l’Autriche et à l’Angleterre. Il savait que les ministres anglais soulevaient contre l’intention manifestée par l’empereur de jalouses objections[2] ; il ne leur convenait pas de laisser amoindrir leur rôle en lui abandonnant le commandement suprême.

M. Drouyn de Lhuys proposa au cabinet de la reine et au cabinet autrichien de se concerter sur les conditions de la paix. Il se rendit à Londres pour s’expliquer avec lord Clarendon et lord Palmerston, les membres les plus influons du ministère. L’entente ébauchée, il rejoignit lord John Russell à Vienne, avec des pouvoirs qui lui permettaient de conclure la paix ou de rompre les conférences. Le comte de Buol-Schauenstein l’attendait

  1. Mémoires de lord Malmesbury : « Persigny dit qu’il faut à tout prix empêcher l’empereur d’aller en Crimée, dût-on faire la paix, car, s’il y va, il y aura une révolution. »
  2. Lord Clarendon était venu au camp de Boulogne pour dissuader l’empereur.