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l’assistance de la Prusse, du moins sa neutralité armée. C’était trop demander au roi ; il ne se souciait pas de tomber de Charybde en Scylla. Si, par une manœuvre hardie, il s’était dégagé des puissances occidentales, il ne lui convenait pas de prendre, ne serait-ce qu’indirectement ; fait et cause pour la Russie. Le sentiment public, tenu en éveil par le parti libéral, s’y serait d’ailleurs opposé. « Il faut que cela finisse, disait la Gazette nationale ; ce cri retentit dans tout le pays contre le parti maudit qui ne se lasse pas de mettre en suspicion et d’appeler révolutionnaires les sentimens qui émanent des traditions les plus glorieuses de la monarchie ; — ce parti qui se flatte d’avoir le monopole de la vraie foi et qui ne croit à rien, si ce n’est à son misérable système, — ce parti qui se dit patriote et qui tend les bras à l’étranger. »

L’aversion contre la Russie et les tendances du parti de la Croix se manifestaient hautement, non-seulement dans la presse, mais aussi dans la seconde chambre, u L’alliance russe est impossible, disait le comte de Goltz, au nom de la commission d’emprunt ; la Prusse et l’Allemagne ont intérêt à ce que leur grand et redoutable voisin n’augmente pas en puissance. L’histoire nous dit quelles en seraient les conséquences. Deux fois déjà la Russie s’est inféodée la Prusse. A la paix de Tilsilt, elle s’est agrandie à ses dépens. Ses droits prohibitifs, son système vexatoire de douanes, les charges qu’elle fait peser sur la navigation de la Vistule, portent à notre commerce les plus grands préjudices. Nous ne saurions oublier l’hostilité avec laquelle elle a combattu la politique prussienne en 1850, et contrecarré le mouvement national du Shlesvig et du Holstein. Comment ne pas tenir compte de l’antipathie du peuple prussien contre la Russie, antipathie profonde qui, en dehors des faits historiques, se fonde sur l’intolérance religieuse et les formes despotiques de son gouvernement ? » C’était pour la première fois que l’alliance russe était discutée et attaquée publiquement dans les chambres prussiennes et qu’on y prévoyait une alliance avec la France. Le fait était nouveau, surprenant : il témoignait de la révolution qui s’était opérée dans les idées et les sentimens.

On s’attendait à un changement de ministère, à une évolution vers le parti féodal ; c’était trop augurer de la volonté du roi et ne pas tenir compte assez de la ténacité de M. de Manteuffel, qui semblait vissé à son portefeuille. D’ailleurs le parti de la Croix n’était pas assez aveugle pour se dissimuler son impopularité et pour ne pas comprendre combien il lui serait difficile de diriger les affaires.

Le président de Gerlach ne se souciait pas d’accepter un portefeuille ; il préférait agir dans les coulisses, sans responsabilité.

Un seul homme aurait pu remplacer M. de Manteuffel, c’était M. de