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président du conseil écouta la lecture de la dépêche anglaise avec des marques sensibles de déplaisir ; il refusa d’en garder copie. La mercuriale dépassait la mesure.

Le roi écrivit à Londres pour se plaindre de l’animosité de la diplomatie de la reine : « Pourquoi Bloomfield, disait-il, me considère-t-il comme un ennemi secret de l’Angleterre ? Si mon amour de la paix est une hostilité secrète, il n’a pas tort. » — Le prince Albert lui répondit : sa lettre était un réquisitoire. Loin de blâmer les procédés des diplomates anglais, il les justifia : « Leur animosité, disait-il, est partagée par l’Angleterre, par la France et même par une partie de la nation allemande. » Il rappela au roi ses variations. Les quatre puissances avaient marché en parfait accord jusqu’au mois de mars 1854, lorsqu’il rejeta la quadruple alliance proposée par l’Autriche, ferma les chambres et frappa de disgrâce tous ses serviteurs mal vus à Pétersbourg. Depuis lors, le cabinet de Berlin s’est appliqué à paralyser l’Autriche, à l’empêcher de se joindre résolument aux puissances occidentales, M. d’Arnim n’a plus reparu dans les conférences de Vienne, et la Russie a obtenu du roi cette bienveillante neutralité qu’elle avait en vain sollicitée au début et qui est en réalité, pour la France et l’Angleterre, un acte d’hostilité. « Je sais que vous agissez en vue de la paix, ajoutait le prince, mais vous ne devez pas être surpris si nous montrons du déplaisir à un gouvernement dont la politique tend à prolonger la guerre, à mettre des obstacles à la paix et à ouvrir toute grande la porte à la révolution, à un gouvernement qui rend à la Russie les plus grands services en fomentant la division en Allemagne, en contrecarrant l’Autriche, en nourrissant le commerce russe et en empêchant que la question européenne qui a été soulevée par les méfaits de la Russie soit résolue dans l’intérêt de l’Europe unie. »

Le prince terminait en disant que le roi, en permettant à la Russie de compter sur son appui, lui ménageait d’amers désappointemens, qu’elle lui reprocherait un jour de n’avoir servi qu’à aggraver les conditions de la paix, et que la Prusse, finalement, serait rendue responsable, par tout le monde, des souffrances et des pertes qu’une action opportune et bien combinée de toutes les puissances aurait pu conjurer.

L’Angleterre n’y allait pas de main morte ; elle prenait le roi et son gouvernement brutalement à partie, sans tenir compte de leurs susceptibilités. Son attitude et son langage contrastaient étrangement avec les procédés toujours courtois de la France.

Le ministre de l’empereur évita de se plaindre officiellement, mais, M. de Bismarck s’étant présentée la légation, l’entretien porta naturellement sur les événemens du jour. « M. de Bismarck, écrivait M. de Moustier, m’a parlé du rappel de M. de Bunsen, qu’il a