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si votre exemple trouve des imitateurs, la civilisation européenne devient un jouet qu’on jette aux vents ; le droit n’a plus de champion, ni l’opprimé d’arbitre à qui on en appellera.

« … Il est si peu dans ma pensée de vous persuader par un appât, que rien ne m’a fait plus de peine que le soupçon exprimé en votre nom par le général de Grœben, que l’Angleterre voulait vous tenter en faisant miroiter à vos yeux la perspective de certains avantages. Cette supposition manque de tout fondement ; elle est démentie par les termes mêmes du traité qui vous a été soumis, et par lesquels les parties contractantes s’engagent à ne s’attribuer, sous aucun prétexte, le moindre avantage personne par suite de la guerre. Votre Majesté n’aurait pas pu donner une plus grande preuve de son désintéressement qu’en signant ce traité.

« Vous pensez que la guerre pourrait être évitée, même déclarée. Ce n’est pas mon avis. Les paroles de Shakspeare : « Évitez d’entrer dans une querelle, mais, quand vous y êtes, soutenez-la de manière que votre adversaire ait crainte de vous, » sont profondément gravées dans le cœur de tout Anglais. »

Frédéric-Guillaume ne se laissa pas émouvoir par ces royales admonestations. Il était dans la disposition d’esprit d’un souverain qui croit avoir sauvé son autorité ; il était fier d’avoir ressaisi son pouvoir et son autorité.

Le duc de Saxe-Cobourg, qui, dans ces temps troublés, apparaissait fréquemment à Berlin, vint trouver le ministre de France. Il lui confia que le roi, plus décidé que jamais à ne rien faire, pestait contre tout le monde, qu’il s’exprimait en termes méprisans sur ses entours, qu’il lui avait dit que tous l’avaient trompé, mais qu’il les surveillait de près et les menait avec une main de fer.

« Le duc Ernest, écrivait M. de Moustier, juge ici les choses et les hommes d’une manière que je trouve sévère. Il croit que le rêve du roi serait de se mettre à la tête d’une grande confédération d’états neutres ; il agirait dans ce sens non-seulement en Allemagne, mais aussi à Bruxelles, à La Haye, à Copenhague, à Naples et même à Washington. Le duc partage les préventions de M. d’Usedom et de ses amis contre M. de Manteuffel ; il voudrait qu’il fût renversé ; il affirme que les Russes redoublent à Berlin leurs moyens de corruption. Les petits états intriguent, dit-il, mais il faudra, malgré tout, qu’ils marchent ; la défiance que la Prusse inspire en Allemagne est si grande qu’aucun d’eux n’hésitera lorsqu’il s’agira de se prononcer définitivement entre elle et l’Autriche. »

Le duc Ernest de Saxe-Cobourg s’agitait beaucoup à cette époque. Ambitieux et amoureux de popularité, il se voyait, dans l’éclat de sa jeunesse et la force de son intelligence, réduit, par le droit