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récriminations, il s’apercevait qu’il éventait toutes ses démarches, qu’on le tenait au courant de ses moindres propos et qu’il trouvait moyen de dénouer les trames les plus secrètes de sa politique. Il laissait le roi rallié à ses idées, et il le retrouvait le lendemain converti à celles de ses adversaires. Il écrivait à Pétersbourg : « Ne comptez pas sur nous, nous ne pouvons vous suivre ; » et il lui revenait que le tsar était certain qu’avant peu la Prusse prendrait fait et cause pour la Russie.


III. — L’ANGLETERRE ET LA DISGRACE DU PARTI LIBERAL EN PRUSSE.

Le roi, en effet, mis en demeure par la France et l’Angleterre de signer le traité qui devait consacrer l’entente établie à Vienne et dont on débattait les clauses, à Paris et Londres, dans d’interminables négociations, s’était brusquement dérobé. Il ne voulait plus entendre parler de rien, bien que le cabinet des Tuileries se montrât disposé à lui donner toutes les garanties qu’il réclamait au sujet d’un soulèvement en Pologne, du passage des troupes françaises à travers l’Allemagne, de l’intégrité de ses possessions et de celles de la Confédération germanique. Il télégraphia à M. de Bunsen de suspendre tous pourparlers avec le cabinet anglais, il désavoua les engagemens qu’il avait pu prendre, et annonça l’arrivée à Londres du général de Grœben avec une lettre officielle et une lettre particulière pour la reine Victoria. L’ambassadeur apprenait en outre que le général était chargé de procéder à une enquête sur sa conduite. Son crime était d’avoir rappelé, dans un de ses rapports, les humiliations que la Russie avait fait subir à l’Allemagne, et d’avoir préconisé une révision de la carte. Dans ses combinaisons, la Russie perdait la Finlande, la Crimée ; l’Autriche émancipait la Lombardie en échange des Principautés danubiennes, et la Prusse s’assurait la haute main en Allemagne. Le roi l’accusait d’avoir trempé dans un complot et d’avoir surpris sa religion ; il lui reprochait de vouloir se servir traîtreusement de l’Allemagne, de connivence avec les puissances occidentales, pour démembrer la Russie, en violation des protocoles, qui se bornaient à garantir la sécurité des chrétiens et l’intégrité de l’empire ottoman. L’ambassadeur s’attendait à des complimens, et il était désavoué, mis en demeure de se justifier, invité d’office à prendre un congé. « Le roi, écrivait le prince Albert, veut que Bunsen ait une indisposition diplomatique de quelques mois, mais Bunsen ne veut pas être indisposé. » Son attitude, malheureusement, n’était pas exempte de reproches : il avait trop découvert son souverain, il s’était mépris sur