Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/863

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les plus proches. Qui nous dit, d’ailleurs, qu’après la paix Napoléon III et Alexandre II, étroitement réconciliés, ne s’entendront pas à ses dépens ? » M. de Bismarck ne croyait ni à la profondeur ni à la durée de l’antagonisme de la France et de la Russie ; leur alliance était aux débuts, comme elle l’est au terme de sa carrière, sa grande préoccupation. Il estimait que l’heure viendrait où les puissances belligérantes, épuisées par la lutte, compteraient avec le gouvernement prussien, et qu’avec un peu de chance et beaucoup d’habileté, on pourrait s’assurer l’alternat dans la présidence de la Diète et, peut-être, la création d’une confédération restreinte dans le Nord.

C’était une politique. Toutefois, comment la faire prévaloir ? Elle exigeait du tact, de l’unité de vues et d’action, toutes choses qui manquaient à Berlin.

Seul, à la tête des affaires, maître de ses mouvemens, M. de Bismarck eût peut-être réussi, par sa dextérité diplomatique, à se maintenir en équilibre entre les puissances belligérantes et à s’assurer même, sans payer comptant, des compensations au jour de la paix. Il n’y fallait pas songer avec un roi esclave de ses impressions, dominé par les partis.

Adhérer au traité du 2 décembre, dont la Prusse s’était assimilé les bases en signant le protocole du mois de décembre 1854, et prendre dans la conférence de Vienne le rôle de modérateur, semblait être, tout compte fait, le parti le plus digne et le plus sage, car l’effacement, dit Polybe, ne donne pas d’amis et n’ôte pas d’ennemis. C’était la politique que le roi Léopold, en sa qualité de souverain neutre, intéressé à une prompte pacification, recommandait au roi Frédéric-Guillaume. « Vous êtes engagé, disait-il, à une guerre défensive à la suite de l’Autriche, mais tout indique que vous n’éviterez pas la guerre offensive. Il serait dès lors plus habile, dans votre intérêt et dans celui de nous tous, de reprendre votre position européenne en adhérant au traité du 2 décembre. Il serait dangereux de s’y refuser, car ce serait, en laissant la guerre se perpétuer, réveiller des idées de conquêtes dont vous n’auriez peut-être pas, en ayant mécontenté tout le monde, lieu de vous féliciter[1]. »

  1. Le roi Léopold disait aussi à M. de Brokhausen, le ministre de Prusse à Bruxelles : « Vouloir s’appuyer sur les états secondaires d’Allemagne serait pour la Prusse une politique imprévoyante, dangereuse. Les cours allemandes ne sont aptes à faire chorus que lorsqu’il s’agit de négation ; elles feront défaut quand on réclamera leur appui dans une guerre provoquée contre la France. Engager une lutte contre cette puissance sans provocation serait une aberration qui ne saurait entrer sérieusement dans les vues d’une saine politique ; ce serait une entreprise hasardée, périlleuse, car l’Angleterre serait infailliblement de son côté. Elle est trop intéressée à l’alliance française, trop acharnée contre la Russie pour ne pas faire cause commune avec son alliée contre ceux qui voudraient l’attaquer. Elle n’hésiterait pas à lui laisser carte blanche en Allemagne ; infidèle à ses traditions, elle verrait peut-être même avec satisfaction les provinces rhénanes tomber au pouvoir de la France. » (Correspondance de M. de Bismarck.)