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l’entendre, que jamais ils ne se sépareraient de l’Autriche ; que si, aujourd’hui, ils contrariaient leur protectrice naturelle, c’était dans son propre intérêt, pour l’arracher à ses entraînemens. Aucun ne cachait son manque de sympathie pour la Prusse et son intention de se rallier à l’Autriche le jour où elle serait forcée de tirer l’épée et de réclamer, sous le coup d’un danger, l’appui de la Confédération germanique. Il eût été difficile au gouvernement prussien, lié par le traité du 20 avril, poussé par l’opinion et forcé de remplir ses devoirs de confédéré, de ne pas mettre, le cas échéant, ses forces au service du cabinet de Vienne.

Les gouvernemens allemands, par leurs tergiversations et leurs menées, rendaient à la Russie un mauvais service. Une attitude résolue de l’Allemagne, ralliée aux puissances occidentales, eut hâté la paix et facilité au comte de Nesselrode l’acceptation des conditions qui lui étaient notifiées par les quatre puissances. — « A quatre, avait dit l’empereur Nicolas, en 1853, à notre ambassadeur, le général de Castelbajac, vous me dicterez la loi, mais cela n’arrivera jamais, car je suis sûr de l’Autriche et de la Prusse. » S’il avait pu pressentir leurs défaillances et les équivoques de leur politique, s’il s’était rendu compte de leurs jalousies et de leurs secrètes ambitions, il n’eût pas provoqué une lutte qui devait abréger sa vie et porter aux destinées de son pays une irréparable atteinte.

L’Allemagne, il faut bien le reconnaître, en dehors du maintien de la paix, qui était capital, il est vrai, n’avait au fond qu’un intérêt secondaire dans la question d’Orient, c’était la liberté du Danube. Le retrait de la Russie des Principautés danubiennes et leur occupation par l’Autriche lui donnaient à cet égard pleine satisfaction. Au contraire, il importait beaucoup à la Prusse de maintenir son rôle de grande puissance. Elle ne pouvait être quelque chose en Allemagne qu’à la condition d’être beaucoup en Europe. C’était la conviction de l’héritier présomptif. Les intrigues et les compromissions répugnaient au caractère du prince de Prusse ; il aimait les situations dignes et nettes, « Quand on ne veut plus rien être, écrivait-il déjà en 1824 à un de ses amis, pourquoi faire semblant d’être quelque chose et entretenir une armée au prix d’immenses efforts ? » Il écrivait aussi : « Les alliés feront défaut à l’heure du danger à une nation qui abandonne son rang et qui, en abandonnant son rang, n’est plus pour les autres puissances un élément de concours auquel on s’intéresse[1]. » Mais la perspective d’être impliqués dans un conflit, sans bénéfices appréciables et tangibles, rendait perplexes les conseillers du roi Frédéric-Guillaume. Ils

  1. Sous les Hohenzollern, souvenirs du général de Nalzmer.