Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 84.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prussiennes jusqu’au point de porter ombrage à l’Autriche, et ne pas les décourager au point de blesser la cour de Berlin et de lui enlever les illusions qu’elle se plaît à faire sur ce qu’elle pourrait attendre de nous, tel est le problème à résoudre ; il ne laisse pas que d’être délicat. Tout ce que je sais des intentions et du caractère de M. de Manteuffel me dit qu’il y a intérêt à ne pas trop le tourmenter sur les choses d’une importance secondaire, en un mot à ménager sa position auprès du roi. »

La Russie jouait alors un rôle considérable dans les affaires germaniques ; la plupart des cours secondaires prenaient le mot d’ordre moins à Vienne et à Berlin qu’à Pétersbourg. La diplomatie russe puisait une partie de sa force dans les complaisances des princes allemands, qui, tous plus ou moins alliés à la famille impériale, considéraient le tsar comme le défenseur résolu de leurs trônes et l’adversaire implacable de la révolution. Aussi le chargé d’affaires de Russie à Francfort, M. de Glinka, dans la pensée de troubler le concert des quatre puissances, se permettait-il d’inviter la Diète, par des communications officielles, à proclamer la neutralité armée de la Confédération germanique, qui eût entraîné l’Allemagne dans une solidarité absolue avec la politique du tsar, sans que personne y trouvât à redire, pas même M. de Bismarck, si chatouilleux cependant à l’endroit des ingérences étrangères. On se demande comment l’empereur Alexandre, en 1870, pour satisfaire une idée fixe, la révision d’une clause du traité de Paris, a pu donner carte blanche à la Prusse en Allemagne et lui sacrifier les princes, qui, au centre de l’Europe, étaient les auxiliaires les plus dévoués de sa politique. Il n’était pas douteux que le jour où, par le fait de la dissolution de la Confédération germanique, l’Autriche cesserait d’être une puissance allemande, la Russie la rencontrerait dans les Balkans en quête de dédommagemens, poussée par l’homme d’état dont elle deviendrait l’instrument après en avoir été la victime. L’empereur Alexandre, malgré les prédilections de son ministre pour la France, ne voyait, malheureusement, sous l’influence de Katkof et des comités pan8lavistes, que l’Orient, où sa politique exclusive devait fatalement provoquer des rivalités et des coalitions, et finalement se heurter contre l’ingratitude des populations qu’elle avait affranchies. Il lâchait la proie pour l’ombre.

La Russie ne s’en est que trop aperçue depuis ; aussi a-t-elle changé de système : elle a rompu avec la politique de sentiment, dont seule elle faisait les frais. Elle laisse aux intrigues libre cours dans les Balkans, certaine que, par la force des choses, elles se dénoueront à son profit ; elle se préoccupe, pour l’heure, plus de l’équilibre territorial en Europe que de la question d’Orient. Elle estime que