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de rhétorique[1]. A ce moment, la maison de Mme  Punctis était de nouveau attristée par un deuil cruel : la sœur de Lavoisier, Marie-Marguerite-Émilie, venait de mourir, à peine âgée de quinze ans ; dès lors, toutes les affections se concentrèrent sur Antoine-Laurent, tous les rêves d’avenir se réunirent sur ce jeune homme dont le cœur aimant, la vive intelligence, les succès de collège, devaient consoler de leurs douleurs les trois êtres qui ne vivaient que pour lui.

Comme la plupart des hommes de science, Lavoisier eut d’abord l’amour des lettres, et rêva la gloire de l’écrivain. Il ébaucha un drame en prose dont la Nouvelle Héloïse était le sujet, mais en écrivit seulement les premières scènes. En même temps, il s’occupait des sujets de prix proposés par des académies de province, et dont les doctrines, objet de ses méditations, semblent l’avoir guidé dans sa carrière. « La droiture du cœur est aussi nécessaire dans la recherche de la vérité que la justesse de l’esprit, » tel était le sujet d’éloquence mis au concours par l’académie d’Amiens, tandis que celle de Besançon demandait : « Si le désir de perpétuer son nom et ses actions dans la mémoire des hommes est conforme à la nature et à la raison. »

Cette période d’essais littéraires fut de courte durée ; dès son année de philosophie, il avait pris le goût des sciences. Au sortir du collège, il suivit les cours de la Faculté de droit, et se fit recevoir avocat au parlement[2]; mais, à la même époque, il se constituait ce fonds solide et étendu d’instruction qui lui permit d’être éminent dans toutes les branches des sciences où le conduisit son génie. Il étudiait les mathématiques et l’astronomie avec le savant abbé de La Caille, qui, après avoir passé quatre ans au cap de Bonne-Espérance pour mesurer l’arc du méridien, déterminer la longueur du pendule et dresser un catalogue d’étoiles, avait installé un petit observatoire au collège Mazarin ; il apprenait la botanique avec Bernard de Jussieu et l’accompagnait dans ses herborisations ; Guettard lui enseignait la minéralogie et la géologie ; enfin, il suivait, au Jardin du roi, les cours de Rouelle, et s’exerçait dans son laboratoire aux manipulations de la chimie. Rouelle était alors dans tout l’éclat de sa renommée ; professeur plein de verve et de passion, il exposait les faits de la science dans un langage précis, en dehors des théories obscures et infécondes dont tant de savans se plaisaient à les envelopper ; sa réputation était immense : des auditeurs de tout âge accouraient

  1. Voir l’Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 1880, p. 480.
  2. Il fut reçu bachelier en droit le 6 septembre 1763 et licencié le 20 juillet 1764. (Registres de l’ancienne Faculté de droit.)