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derniers sont en effet les moins intéressans, bien qu’on trouve parmi eux un certain nombre de malheureux dont les infirmités expliquent assez la triste histoire. Mais il n’est pas rare d’y rencontrer aussi des hommes vigoureux et dans la force de l’âge. Il est bien difficile de croire que ceux-là n’auraient pas pu trouver à gagner leur vie. Ce qui est véritablement douloureux, c’est d’y voir des jeunes gens, presque des enfans. Tel était le cas d’un garçon de dix-sept ans à peine, dont la physionomie assez fine et douce avait attiré mon attention. A l’entendre, son père était mort, sa mère vivait « avec du monde. » Il avait dû quitter le domicile maternel, et, n’ayant pu trouver du travail, il s’était mis à mendier. Ce qu’il n’ajoutait pas et ce que son dossier révélait, c’est que, très jeune, il avait fait montre d’assez mauvais instincts, et qu’il avait été, sur la demande de son père, enfermé six mois à la Petite-Roquette. Une société charitable, à laquelle cette situation fut indiquée, ne put rien faire pour lui à raison de ses antécédens fâcheux, et il fallut le laisser suivre son sort, qui, probablement, le conduira un jour ou l’autre à la Nouvelle-Calédonie. Et, cependant, avec ses cheveux bouclant naturellement et ses beaux yeux à fleur de tête, de combien de parens ce garçon n’aurait-il pas fait l’orgueil à la sortie de Stanislas ou de Condorcet ? Atavisme et fatalité, dirait le professeur Lombroso. Pourquoi pas aussi bien mauvaise éducation et misère ?

Si on retient les mendians pendant un temps plus ou moins long à Nanterre (je ne parle pas de ceux qui y sont hospitalisés à perpétuelle demeure), c’est pour leur permettre de se constituer, par leur travail, un petit pécule qui les mette en état de subvenir à leurs besoins. Il a donc été nécessaire d’installer dans la maison un certain nombre d’ateliers. Les travaux auxquels on emploie les pensionnaires de la maison sont fort simples et ne nécessitent pas un long apprentissage : coupage de poils de lapin, dépeçage d’ajustemens de drap, confection de filets, etc. Mais, à cause de cela même, ces travaux sont peu rémunérés ; chacun des pensionnaires peut se faire environ de dix à douze sous par jour. Du pécule ainsi amassé, une partie est laissée à leur disposition pour leur permettre d’améliorer leur ordinaire à la cantine. Il ne faut donc pas compter qu’ils puissent amasser plus de 10 francs par mois. On les remet généralement en liberté, qu’ils le demandent ou qu’ils ne le demandent pas, lorsque leur pécule atteint 20 ou 30 francs. Tous les jours on en renvoie ainsi douze ou quinze, qu’on lâche tout uniment sur la grande route, sans s’inquiéter de ce qu’ils deviennent. En m’en retournant moi-même, j’en ai rencontré plusieurs qui cheminaient clopin-clopant, usés qu’ils sont presque tous par l’âge ou appesantis par quelque infirmité. Comme presque tous ces mendians ont été arrêtés à Paris, et comme il faut bien qu’ils y retournent pour y trouver de