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deformem et tætrum ante omnia vultum
Dissimilemque sui, deformem pro cute pellem,
Pendentesque genas….
… cum voce trementia labra
Et jam læva caput, madidique infentia nasi,
Frangendus misero gingiva panis inermi,


visages déformés, peau semblable à du cuir, joues tombantes, lèvres tremblantes, chefs dénudés, nez humides, gencives édentées, rien ne manque à ce triste cortège d’infirmités qui accompagne les dernières années de l’être humain. Les uns, hommes et femmes, ne bougent jamais de l’infirmerie, où ils sont livrés à toutes les humiliations inconscientes du gâtisme, et je ne crois pas que plus beaux lambris aient jamais contemplé plus triste misère. D’autres, sans être tombés aussi bas, ne sauraient s’associer à la vie générale de la maison, monter les escaliers, se promener dans les cours, empêchés qu’ils sont par leur état de faiblesse ou d’infirmité. On a dû affecter à ces demi-invalides, dans le quartier des hommes et dans le quartier des femmes, deux salles spéciales, situées au rez-de-chaussée, où ils dorment, mangent et passent leur journées ne rien faire. Que feraient-ils ? Ceux-là, cependant, sont encore des consciens. Ils ont leurs souvenirs, leurs regrets, leurs anecdotes. Je remarquai par hasard, dans cette foule, un vieillard qui avait encore l’œil assez vif, et je lui demandai son histoire. C’était un ancien paillasse. De sa vie, il n’avait fait d’autre métier que de suivre, de foire en foire, une troupe de saltimbanques et de divertir le public avec ses lazzi, donnant et recevant à tour de rôle des gifles et des coups de pied bien appliqués. Cette vie nomade ne l’avait pas empêché de se marier. Il avait épousé la tante, et j’appris par cette occasion qu’il y a, dans toutes les troupes de saltimbanques, un personnage féminin de ce nom qui joue les rôles comiques. Le ménage faisait d’assez bonnes journées. Le mari gagnait 5 francs par jour, et il tirait, en outre, quelques petits profits de la vente de ses calembours imprimés. Mais aux paillasses surtout doit s’appliquer le proverbe : Ce qui vient de la flûte s’en retourne au tambour. » Et puis, ajoutait-il d’un air important, il avait eu des revers. Bref, il n’était plus apte même à recevoir des gifles. A bout de calembours et aussi à bout de ressources, il avait sollicité son admission à Saint-Denis, d’où il venait d’être transféré à Nanterre. Il paraissait prendre avec philosophie sa nouvelle condition, et ne se préoccupait que d’une chose : savoir s’il aurait la libre disposition d’une somme de 30 fr., sur laquelle il comptait pour améliorer son ordinaire à la cantine, et qui provenait d’une quête faite à son profit par ses anciens camarades à la foire de Neuilly.

On sépare avec raison les individus qui sont hospitalisés ou détenus administrativement, et ceux qui ont subi des condamnations. Ces