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statue, la condition de ceux qui font l’objet d’un sans-suite est la même, et cette condition n’est pas aussi enviable qu’on pourrait le croire. En fait, pour beaucoup de ces malheureux hôtes du dépôt, l’instant de la mise en liberté est précisément celui qu’ils redoutent. Ils sont sans ressources et sans domicile. Le dépôt est un endroit où l’on mange à peu près à sa faim, où l’on est passablement couché et où l’on passe la journée à causer sans rien faire. Ils ne sont pas pressés de le quitter : — « Où voulez-vous que j’aille ? » disent beaucoup d’entre eux. Ceux qui tiennent ce langage sont, pour la plupart, des mendians et des vagabonds, et ce sont eux qui, à Paris, fournissent près de la moitié des arrestations, vingt mille sur quarante-deux mille. La mendicité et le vagabondage sont les deux délits sur la proportion desquels l’influence de la misère se fait le plus directement sentir. Comme c’est précisément l’étroite connexité entre la criminalité et la misère qui m’a inspiré la pensée de ces études, et comme à Paris en particulier la répression du vagabondage et de la mendicité touche par certains côtés à des questions d’assistance publique, on me permettra, au prix d’une digression, d’indiquer comment la loi en use avec les vagabonds et les mendians, et comment la pratique en use avec la loi.


III

La loi n’envisage point du même œil le mendiant et le vagabond. Entre les mendians, elle distingue ; elle ne distingue point entre les vagabonds. « Le vagabondage est un délit, » dit l’article 269 du code pénal, procédant ainsi par la forme tout à fait inusitée d’une affirmation qui montre bien le caractère conventionnel du délit, et l’article 270 définit ainsi les vagabonds : « ceux qui n’ont ni domicile certain ni moyens d’existence, et qui n’exercent habituellement ni profession ni métier. » Celui qui tombe sous cette définition encourt, par ce seul fait, la peine de trois à six mois d’emprisonnement. Pour la mendicité, au contraire, le code pénal fait une distinction. Dans les lieux où il existe un établissement destiné à obvier à la mendicité, le seul fait d’avoir mendié entraîne la peine de trois à six mois d’emprisonnement. Il n’en est pas de même dans les lieux où il n’existe pas d’établissement de cette nature. Dans ces lieux, le mendiant d’habitude et valide est seul passible d’une peine. En d’autres termes, le code pénal admet que, dans les lieux où il n’existe point de dépôt de mendicité, le mendiant puisse avoir une excuse : l’infirmité ou la misère accidentelle. Il n’en admet point pour le vagabondage, qui lui semble toujours coupable, et volontaire. En fait, cela est-il juste ? Assurément non. Le