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haut lieu du gouverneur pendant la dernière campagne, et que, toutes convenances gardées, l’intérimaire désigné pouvait bien être un successeur. Aussi, quand le général de Rumigny tomba comme des nues à Alger, l’accueil que lui fit le général Bugeaud fut d’une cordialité incertaine : « J’avouerai à monsieur le maréchal, écrivait le nouveau-venu au ministre de la guerre, le 15 décembre, que le premier mouvement de sa part me parut être un mouvement de surprise. »

Quelques jours se passèrent, du côté du général Bugeaud, en hésitations apparentes ; enfin, le 20 décembre, ayant reçu des nouvelles d’Oran qui lui parurent d’une grande importance, il écrivit à l’intérimaire qui ne l’était pas même encore : « Dans de telles conjonctures, je crois bien servir les intérêts du pays et du roi en restant à mon poste. N’est-il pas naturel qu’ayant amené des résultats par une campagne énergique, je désire les recueillir ? Vous êtes trop loyal pour ne pas répondre : Oui, c’est naturel, c’est même juste. »

M. de Rumigny était un homme respectable ; il se trouvait, par le hasard des circonstances, dans le malaise d’une situation que chaque jour rendait plus fausse et plus embarrassante ; plus jeune de grade que le général Bugeaud, il aurait eu un moyen de s’en tirer en acceptant un commandement sous ses ordres, et volontiers il l’eût fait, sans un empêchement moral qu’il expliquait ainsi au ministre de la guerre : « A ses qualités, disait-il du général Bugeaud, se mêle une répugnance prononcée pour toute hiérarchie militaire ; il aime surtout à donner des ordres directs aux grades subalternes sans les faire passer par les grades supérieurs. Il en résulte des discussions inévitables, et, dans mon saint respect pour la discipline, il m’est de toute impossibilité de me soumettre à ces conditions. » Enfin, en décidant que, pendant l’absence du général Bugeaud, qui devait se rendre à Oran, le général de Rumigny prendrait le commandement d’Alger par intérim, le maréchal Soult crut faire cesser l’imbroglio ; il ne fit que compliquer celui-ci d’un autre.

Notifiée au général de Bar, qui venait d’être nommé chef d’état-major-général à la place du général de Tarlé, à Changarnier, à La Moricière, à Bedeau, à tous les maréchaux de camp en un mot, la décision ministérielle fut, comme elle devait l’être, accueillie respectueusement par tous, un seul excepté, Baraguey d’Hilliers, qui, par un mouvement d’orgueil absolument injustifiable, demanda son rappel en France. On verra plus tard comment prirent fin tous ces conflits d’amour-propre, fondés ou non, sérieux ou ridicules.


CAMILLE ROUSSET.