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davantage, en vous rappelant que la Pythie m’a proclamé le plus juste et le plus sage des hommes. » Et, comme pour augmenter à plaisir l’irritation, en faisant l’éloge d’un Spartiate, il ajouta qu’Apollon avait placé Lycurgue bien plus haut encore. Quant au second chef, ses mœurs répondaient d’avance, et il somma les pères de ceux qu’il avait, disait-on, corrompus, de venir déposer contre lui. Il passa légèrement sur tout ce qui regardait la politique, et termina par le serment de désobéir, si on le renvoyait absous, à la condition de répudier la mission qu’il avait reçue au grand profit d’Athènes : celle de chercher pour lui-même et pour les autres la sagesse. « Il faut, dit-il, obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ; » parole bien grave, qui autorise toutes les révoltes et rompt le lien social, lequel est fait de l’obéissance aux lois de la communauté. Qui, en effet, après ce grand exemple, ne serait pas tenté de se mettre au-dessus de tout droit, en vertu de révélations intérieures ? Évidemment, Socrate trouvait, comme le dit Xénophon, qu’en finissant ainsi, il mourait à propos. Deux cent quatre-vingt-une voix contre deux cent soixante-dix-huit le déclarèrent coupable ; que deux voix se fussent déplacées, et il était acquitté. Mais il n’avait pas convenu à celui qui avait élevé si haut la dignité morale de l’homme de s’abaisser aux moyens employés par les accusés ordinaires pour gagner leurs juges. Il voulait que sa mort fût la sanction de sa vie ; et, dans sa défense, c’était moins à ses juges qu’à la postérité qu’il avait parlé.

Il restait à statuer sur la peine ; Mélétos proposa la mort. Socrate dit : « Athéniens, pour m’être consacré tout entier au service de ma patrie, en travaillant sans relâche à rendre mes concitoyens vertueux, pour avoir négligé, dans cette vue, affaires domestiques, emplois, dignités, je me condamne à être nourri le reste de mes jours dans le Prytanée, aux dépens de la république. » Quatre-vingts juges, que tant de fierté blessa, se réunirent aux deux cent quatre-vingt-un et votèrent la mort.

Ses dernières paroles aux juges, d’après l’Apologie de Platon, montrent une sérénité que Caton d’Utique, avant de se tuer, cherchera pour lui-même dans le Phédon : « De deux choses l’une, dit-il, ou la mort est l’entier anéantissement, ou c’est le passage de l’âme dans un autre lieu. Si tout se détruit, la mort sera une nuit sans rêve et sans conscience de nous-mêmes ; nuit éternelle et heureuse. Si elle est un changement de séjour, quel bonheur d’y rencontrer ceux qu’on a connus et de s’entretenir avec les sages ! Mais il est temps de nous quitter, moi pour mourir, vous pour vivre. A qui de nous est réservé le meilleur sort ? C’est un secret pour tous, excepté pour le dieu. »

Il demeura trente jours en prison, sous la garde des Onze, en