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puissances de l’Europe, appelée à figurer dans les grandes combinaisons ; elle traite de pair avec l’Allemagne, avec l’Autriche, l’ancienne dominatrice au-delà des Alpes. Elle est satisfaite, et le roi Humbert, parlant un peu le langage de M. Crispi, a pu dire que son cœur exultait de joie, que « l’Italie, forte de ses armes, sûre de ses alliances, amie de tous les gouvernemens, continue sa marche ascendante dans la famille des grands états, va maintenant de front avec les premiers et ne craint plus d’avoir à reculer. » Le roi Humbert s’est empressé d’ajouter à cette manifestation d’une joie patriotique la déclaration rassurante que tous ses efforts sont pour la conservation de la paix, que, dans ce désir de paix, il est d’accord avec les autres grands états de l’Europe, ses alliés. Rien de mieux : c’est le mot d’ordre de la triple alliance. L’Italie est probablement sincère, d’autant plus qu’elle est comme tout le monde, plus peut-être que tout le monde, intéressée à la paix, qu’elle n’est, pour sa part, ni contestée ni menacée dans son existence, et que de plus elle a largement, — c’est le roi qui le dit, — de quoi occuper son activité avec ses propres affaires.

L’Italie, en effet, a d’abord aujourd’hui ce qu’on pourrait appeler son expédition du Tonkin, une expédition d’Abyssinie qu’elle poursuit, non plus seulement avec quelques détachemens, mais avec une petite armée, quatre ou cinq brigades sous les ordres du général de San-Marzano. Que se propose-t-elle réellement ? Est-ce une campagne pour réparer la petite mésaventure essuyée l’art dernier par les armes italiennes, pour conquérir la sûreté de l’établissement de Massaouah ? Est-ce une guerre véritable contre le souverain abyssin, le négus, qui paraît résolu à une vigoureuse résistance ? C’est, dans tous les cas, une entreprise délicate, qui n’est point, sans doute, au-dessus de la valeur des soldats italiens, qu’il peut néanmoins être sage de limiter, si le cabinet de Rome ne veut pas se laisser entraîner dans les difficultés inextricables de toutes les expéditions lointaines et indéfinies. D’un autre côté, le roi Humbert, dans son discours, trace le plus vaste programme de travaux parlementaires : reconstitution des ministères, réforme de l’administration des provinces et des communes, unification du code pénal et de l’administration de la justice par la création d’une cour de cassation unique, réorganisation des finances par la limitation y des dépenses exagérées et par la restitution au gouvernement du droit de proposer seul des dépenses nouvelles, bien d’autres choses encore : tout y est ! Voilà, certes, de quoi occuper une session et même plusieurs sessions. Pour le moment, le successeur de M. Deprétis à la présidence du conseil, M. Crispi, qui paraît aussi ambitieux dans sa politique intérieure que dans sa politique extérieure, n’a point sans doute à craindra une opposition bien sérieuse. Il a pour lui le prestige d’un récent succès diplomatique, un peu aussi le désarroi des partis, et,