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point, si l’on veut, que le moment soit plus critique aujourd’hui qu’hier ; il l’est autant dans tous les cas, et le plus clair est que la France est réduite à retrouver un gouvernement, un équilibre intérieur, tandis que les autres états, qui ont sans doute leurs difficultés, mais qui gardent leur liberté, poursuivent leurs desseins, nouent leurs alliances, font leurs affaires avec leurs parlemens ou sans leurs parlemens.

Ce n’est qu’une simple coïncidence : toujours est-il qu’à la veille de l’ouverture récente du parlement allemand, l’empereur Alexandre III de Russie est arrivé à Berlin avec toute sa famille retournant à Saint-Pétersbourg. Il a fait une apparition de quelques heures, entre deux trains, et cette visite, si longtemps douteuse, rendue aujourd’hui au vieil empereur Guillaume, dans des circonstances difficiles par suite des relations des deux empires, plus pénibles encore par suite de la maladie du prince impérial d’Allemagne, cette visite a visiblement gardé un caractère marqué de gravité et de réserve. Tout s’est passé assurément avec la stricte correction de l’étiquette. Le prince Guillaume, qui prend décidément de plus en plus le rôle de prince héritier, a été envoyé à la rencontre du tsar. Le vieil empereur Guillaume est allé lui-même attendre son neveu Alexandre III à l’ambassade de Russie, et il a passé avec lui la revue de la garde d’honneur fournie par le régiment de l’empereur Alexandre. La tsarine a conduit ses enfans au vieux monarque. M. de Bismarck, revenu tout exprès de Friedrichsruhe, — par ordre, dit-on, — aurait demandé à être reçu ou aurait été appelé par le souverain russe, et a eu avec lui un assez long entretien. Le soir, avant le départ, il y a eu au palais un banquet de gala où des toasts ont été échangés. La population de Berlin, seule, pour sa part, semble avoir peu prodigué son enthousiasme sur le passage du cortège impérial russe ; elle a réservé ses acclamations pour son empereur ! Tout cela a été l’affaire d’une rapide journée d’hiver passée en politesses officielles, en conversations, en explications. Qu’en est-il réellement ? La visite de l’empereur Alexandre III est-elle restée tout simplement un acte de courtoisie et de déférence dû après tout à un vieux parent, à un vieux souverain atteint dans ses affections paternelles, menacé dans son grand âge de perdre son fils, le premier héritier de sa puissance et de sa gloire ? Est-ce un événement politique destiné à modifier une situation, à sceller ou à préparer la réconciliation des deux empires, assez divisés depuis quelque temps ? C’est particulièrement le secret de l’entretien que le chancelier d’Allemagne a eu avec Alexandre III. Les deux interlocuteurs avaient beaucoup à se dire, s’ils ont voulu tout expliquer.

A en juger par les apparences, l’entretien n’a pas laissé, sans doute, d’être délicat. M. de Bismarck a dû certainement ne rien négliger pour impressionner l’esprit du tsar, pour convaincre son interlocu-